Chapitre 39 - Échaudée

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— Alors...

Le Chuchoteur se penche vers moi jusqu'à ce que sa capuche me frôle la joue. J'ai un sursaut de recul qui le fait rire. Le son est à mi-chemin entre une toux sèche et un raclement de gorge. J'imagine sans peine une gorge écorchée par des cris engendrés par le précédent titulaire du poste.

Le même genre de cris qui s'échapperont probablement de la mienne bientôt. Je frissonne de tout mon être. Mes yeux se harponnent à la porte partiellement dissimulée par la rangée de box pour les cadavres. La sortie, ou une pièce pire que celle-ci?

Deuxième frisson.

— Lyvie... Beauregard, murmure le Chuchoteur, contemplatif.

Je ne réponds rien, me contentant de respirer correctement. Inspirer, expirer, recommencer. Fort contraste avec l'odeur agressante des produits nettoyants, des effluves parfumés me parviennent de sous la capuche : un shampoing masculin et une odeur de menthe qui cache mal une dépendance à la nicotine.

Je frémis en me rappelant qu'un homme est caché sous cette capuche tombante. Un autre méchant. Ma vie en est remplie à présent. Je préférais quand le seul méchant de ma vie, c'était Philippe qui essayait de me pourrir la vie après notre séparation.

Comme quoi tout est relatif.

Le Chuchoteur lève une main pour la promener sur mon bras. J'essaie de ne pas regarder, de peur que ce soit celle avec le scalpel.

— Trente et un ans, encore toutes tes dents... et mère de deux merveilleux enfants, termine-t-il d'un souffle traînant.

Je me redresse si vivement sur mon siège que mon front heurte sa pommette. Un bruit métallique résonne quand le scalpel lui échappe.

— Laissez mes enfants en dehors de tout ça, déclaré-je, en proie à la fureur et à la panique tout à la fois.

Je croyais que ce sujet était clos depuis le temps!

Des étoiles dansent devant mes yeux, pois noirs sur fond blanc. De son côté, le Chuchoteur porte une main à son visage en se détournant, rattrape sa capuche in extremis. J'entraperçois un œil dans le processus. Un iris brun, si foncé qu'il en paraîtrait noir sous un autre éclairage, et des cheveux à peine plus clairs qui tombent devant.

— ... et pleine de surprises, souffle-t-il en émettant un bruit qui ressemble à un étouffement.

Puis je remarque que ses épaules se soulèvent par intermittence, des tressautements... il rit! Bon sang, il rigole! Il replace sa capuche et son masque, redevient un être anonyme. Ou presque. J'ai vu un œil, humé son parfum et je sais qu'il fume. Étrangement, ce savoir me rassure sur son humanité. Il y a de l'espoir.

— Le Pisteur a promis que ma collaboration les mettrait à l'abri du danger! dis-je pour expliquer ma réaction.

Un nouveau rire lui échappe, et j'ai l'impression de me trouver à la merci d'un fou. Le scalpel n'est plus dans sa main, je le vois gisant sur le sol, à quelques pas de là, mais je suis toujours rivée à mon siège. Le Chuchoteur n'a qu'à se pencher pour s'en saisir et me charcuter sans que j'y puisse quoi que ce soit.

Nouveau frisson, on croirait que mon corps ne sait plus faire que ça.

Comme depuis le début de cet entretien, la panique reprend rapidement le dessus. Le rire cesse, le silence reprend, lancinant. J'attends que le Chuchoteur parle. Je tends l'oreille, anxieuse, à l'affût du prochain murmure à mon intention. Je contrôle tant bien que mal ma respiration; mon cœur bat plus vite que tout à l'heure, mais je me serais attendu à une sarabande effrénée, pas à une salve régulière et tranquille. Un afflux de stress continu dans ma vie est en train de me rendre complètement insensible, c'est la seule explication. Peu à peu, je deviendrai comme Alaster, ou pire, comme celui qui me retient ici.

Le fauve écarlateWhere stories live. Discover now