Chapitre 34 - Intimidée

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Suivant les recommandations de Maximilien, je suis passée en vitesse chez moi pour me changer avant le rendez-vous avec Alaster. J'enfile un débardeur, remets mon t-shirt, passe une veste légère, m'arrête, sort un foulard de soie assorti et le noue autour de ma gorge. Ainsi vêtue, j'ai l'impression d'être une adolescente nerveuse avant sa première soirée, alors qu'elle sait devoir subir une partie de strip-poker humiliante. Heureusement, le résultat ne fait pas trop forcé.

À la limite, j'ai l'air d'une fille de riche dans une comédie romantique, la fortune et le chauffeur en moins.

Raffinée. J'ai simplement l'air raffinée.

J'hésite au moment de me coiffer et de me maquiller... puis je décide de ne rien faire. Je brosse mes cheveux longs et les laisse couvrir mes épaules comme il leur plaît. Je ne mets pas de bijoux. Une fois prête, je prends mon sac à main et sors. Je m'arrête un instant sur le seuil de la porte en constatant que mon voisin taciturne est chez lui. Appuyé sur sa berline bleu royal métallisée, il fume sa cigarette en regardant partout et nulle part à la fois.

Il a toujours l'air parfaitement décontracté, comme si son stationnement était en fait une station balnéaire, et sa cigarette, les mains agiles d'une masseuse.

Son regard se pose sur moi au moment où je replace la bandoulière de mon sac à main.

Malgré les poches sous ses yeux, qui sont si tangibles qu'elles soutiennent forcément le poids de ses globes oculaires à elles seules, Éloi incarne l'image même du bad boy des romances que j'aime lire. Mais ma réalité comporte un bad boy vraiment plus vilain que lui, alors j'imagine qu'en fait, lui, c'est le gentil.

Je le considère comme la variable relativement stable que j'aurais pu inclure dans ma vie. J'aurais aimé le connaître un peu mieux, établir une vraie relation de voisinage avec lui. Par exemple, j'aurais su quel est son emploi et s'il aime les biscuits. J'aurais même pu lui en laisser sur le pas de sa porte, l'inviter à venir boire un verre de temps en temps pour qu'il m'écoute rager contre mon ex ou pleurer la perte de ma meilleure amie...

Je me sens atrocement seule, d'un coup.

Après avoir verrouillé la porte et vérifié qu'elle est bien fermée, je descends les quelques marches menant au stationnement en étant consciente du regard d'Éloi sur moi. En le dépassant pour me rendre à ma voiture, j'ai l'étrange envie de lui dire où je m'en vais ce soir, pour que quelqu'un sache, n'importe qui, même si cette personne ne me connaît pas tellement.

Mais j'aurais trop peur qu'il appelle la police si je ne revenais pas. Il a l'air du bon samaritain qui ferait ce qu'il faut, et je serais dans de beaux draps si je revenais ensuite. Ma vie est devenue plus relative que l'existence du chat de Shrödinger.

— Bonsoir, Éloi, dis-je simplement en alliant la parole au geste.

Fidèle à son habitude, il me salue d'un hochement de tête et prend une bouffée de sa cigarette. Il me suit du regard pendant que je sors du stationnement. J'ai l'estomac noué. Je ne suis pas anxieuse relativement à mon entrevue avec Alaster, mais celle avec le Chuchoteur me terrifie. Pour une raison que je ne m'explique pas, je conduis encore plus prudemment que d'habitude et je jette des regards incertains derrière moi à la première occasion. La peur d'être suivie m'accompagne où que j'aille désormais.

J'arrive un peu en avance à l'hôtel et, malgré ma nervosité, cette fois je ne tergiverse pas en arrivant devant la porte arborant le chiffre trois. La carte magnétique entre et sort; la porte cliquette son approbation. Je l'ouvre en serrant mon sac contre mon cœur, comme un bouclier.

La chambre est plongée dans la pénombre. La seule source de lumière provient de la fenêtre, dont les rideaux ne suffisent pas à empêcher les rayons du soleil couchant d'entrer, ce qui confère à la pièce un aspect chaleureux bienvenu. Je retire mes chaussures en tendant l'oreille. Tout est calme.

Le fauve écarlateWo Geschichten leben. Entdecke jetzt