Chapitre 8 - Surveillée

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Mon premier réflexe en voyant la nouvelle voiture du quartier, c'est de me dire que j'ai rêvé. À force de penser en voir une dans les derniers jours, j'ai le cerveau qui a décidé de me jouer des tours. J'hallucine, tout simplement. C'est certain! Éberluée, je fixe la voiture rutilante, dont le conducteur est un homme dans la trentaine à l'air sévère, à la coupe militaire et à la mine patibulaire. J'ai du mal à croire qu'il soit vraiment là. La tête baissée vers ses cuisses, il porte un gobelet de café à ses lèvres, plus du tout intéressé par ma personne.

Notre contact visuel n'aura duré en tout et pour tout qu'une petite seconde.

Il n'a ni souri, ni esquissé le moindre geste dans ma direction.

C'est l'absence de réaction qui me trouble le plus, en fait. Je m'attendais à une forme de menace directe, une gestuelle explicite du genre "je vous surveille", certainement pas à une attitude qui dénote un je m'en foutisme presque normal à la sauce "je suis là par hasard" ou encore "j'attends quelqu'un".

Je recule à pas mesurés comme si c'était un félin devant moi et que le moindre geste brusque pouvait provoquer ma perte. La notion de grand chat ramène mes pensées vers l'inconnu au perfecto rouge, qui était manifestement absent de l'habitacle. D'un coup, je vois exactement ce qu'il voulait dire par "qu'elle me cherche sans me trouver" et "qu'elle pense tout de suite à moi en voyant un autre homme".

Il ne parlait pas de n'importe quel homme. Il parlait de lui, de son second.

Est-ce que cela veut dire qu'il me reste peu de temps à vivre?

Échaudée par l'idée, je me détourne pour m'éloigner de la fenêtre surveillée. Ma chambre me paraît l'endroit le plus sûr pour le moment. L'interminable couloir de cette maison ne m'a jamais semblé aussi court depuis mon emménagement : aucune distance n'est assez grande pour me séparer de cet homme dérangé qui m'a forcée à enfoncer la lame d'un couteau dans la peau de son patron. Bon sang... chaque fois que j'évoque un souvenir de ce jour-là, je ne revois que le visage de l'inconnu au perfecto, ses yeux verts éclatants, sa bouche mesquine et cette barbe qui commençait à lui manger les joues.

Je me fustige en m'habillant. Comment est-il possible de trouver attrayant un être capable de frapper une vieille dame? C'est ridicule. Et pourtant... Je grogne en me rendant compte que j'ai enfilé mon t-shirt à l'envers, trop occupée à ressasser cette journée maudite.

— Satané fauve... si j'avais su...!

J'aurais changé notre traditionnel pique-nique, ne serait-ce qu'en choisissant un autre endroit! Oui, cela aurait été la meilleure solution : je n'aurais pas déçu les enfants en annulant l'événement, et je n'aurais pas frustré Philippe...

Seigneur. Les enfants. Le malade au couteau dehors chargé de me surveiller, même s'il fait mine de ne pas être là pour ça. La décision de la veille me déchire le coeur, et je me laisse tomber assise sur mon lit, accablée par la culpabilité. Comment vais-je expliquer un tel changement de décision à Philippe, avec qui je me suis battue pour la garde partagée? Il ne voudra pas la garde complète, il n'en a jamais voulu! Que dirai-je aux enfants, que j'ai déjà l'impression de voir si peu?

Je suis mitigée entre mon désir égoïste d'aller les chercher ce soir pour ignorer ce qui se passe, feindre que tout va bien, et ma volonté de les protéger en les éloignant de tout risque que je constitue à présent.

Une fois habillée, je prends la direction de la cuisine et empoigne mon téléphone, où un message de ma soeur Jaëlle me surprend. Elle veut que nous nous voyions avant que j'aille chercher les enfants. Sentant tiquer la trotteuse de mon existence, j'acquiesce à sa demande. Nous nous donnons rendez-vous dans mon café préféré, près de sa résidence étudiante, et je termine de me préparer à la hâte.

Le fauve écarlateWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu