Le fauve écarlate

Chapitre 30 - Irritée

— Mais je ne sais toujours rien au sujet du Chuchoteur, murmuré-je.

Je me sens soudain faible, et je m'assois sur la première chaise disponible. Hormis le titre de son poste et la crainte qu'il inspire, le Chuchoteur m'est toujours inconnu, et je n'ai pas posé plus de questions à son sujet. J'en ai eu envie, certes, mais je ne l'ai pas fait!

— Vous en savez déjà trop, déclare Alaster en s'appuyant sur le comptoir, et nous savons tous les deux que vous chercherez à en apprendre plus. Je ne peux plus vous laisser vous enfoncer ainsi sans rien faire.

Emma fixe Alaster de ses grands yeux ronds, et moi je l'observe, elle, comme une affamée son dernier repas. Elle étend les bras vers mon interlocuteur, qui esquisse un geste vers elle mais s'interrompt en avisant mon visage. Je suis choquée, terrifiée à l'idée qu'il la prenne et me l'enlève.

C'est une peur viscérale et infondée, je le sais. S'il l'avait voulu, Alaster aurait pu me l'enlever bien avant, pourtant je m'accroche à son petit corps et réfrène un sanglot en l'embrassant sur le front.

— Non, mon poussin, reste sur maman.

La petite se débat à demi, les bras tendus vers Alaster.

— Papa!

La suite de ses paroles se perd dans sa syntaxe approximative et sa prononciation au mieux élaguée, mais l'essentiel du message est compréhensible, même pour Alaster, qui secoue la tête devant sa demande impérative pour qu'il la prenne dans ses bras.

— Non, pas aujourd'hui, mon petit sucre. Maman a besoin de toi. Donne-lui un gros câlin.

Déjà surprise par la douceur que mon vis-à-vis affiche, je tombe des nues en entendant le petit nom qu'il a déjà utilisé à mon intention... et en recevant une énorme et forte étreinte de la part de ma fille, qui suit ses directives. Je cueille cette preuve d'affection avec étonnement, soulagement, et un grognement : elle me serre trop fort et passe près de m'étouffer. Malgré tout, son parfum m'inonde, et je me sens tout de suite mieux, même si un détail me dérange.

— Elle ne va jamais vers les inconnus, soufflé-je enfin, quand je mets le doigt sur le problème. Et pourtant elle veut que vous la preniez.

Un sourire écorne le coin de la bouche d'Alaster, qui esquisse un geste vers la petite.

Dans un brusque élan motivé par l'instinct de survie et le besoin d'obtenir des réponses loin de ces petites oreilles vierges, je me lève avec Emma et l'oriente vers la chambre, où Emmett et Amélie discutent avec animation en construisant une structure hautement improbable. Comme si elle avait jusque-là oublié l'existence de son frère, Emma babille son prénom avec enthousiasme et s'élance vers lui. Je les observe jouer quelques instants, m'assurant qu'ils n'ont besoin de rien et que je peux retourner discuter avec Alaster en toute quiétude.

Avec sa concentration à toute épreuve, Emma a déjà oublié mon existence et s'amuse à faire rouler une petite voiture entre des blocs disposés avec soin par Amélie.

Même si je suis contrariée et troublée par mon invité-surprise, la fillette, elle, est charmante; elle dicte à mon fils quoi faire d'un ton sans appel et pourtant doux.

— Emmett, tu fais tout de travers! Il va falloir recommencer. Je m'occupe de la palissade, et toi..

Elle a manifestement de qui tenir. Si elle n'est pas la fille biologique d'Alaster — ce qui me surprendrait grandement —, elle a pris ses attitudes. Elle a cette moue sérieuse et cette façon de parler d'un niveau soutenu que d'autres fillettes de son âge n'ont pas. Emmett, docile garçonnet qu'il est, se plie aux ordres de sa petite amie sans rechigner, et je souris, attendrie, de le voir si heureux.