Chapitre 10 - Résignée

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Il va m'attraper. J'entends ses pas raides dans le couloir, l'imagine dépasser la porte de la chambre, hésiter devant la porte close, revenir, entrer. Il enfonce presque la porte, qui va cogner contre le mur. Je sursaute et réfrène mon envie de l'invectiver. J'ai déjà dû réparer le plâtre deux fois cette année. La maison de papier est fragile.

Une main en travers de la bouche, j'essaie de contrôler ma respiration pour éviter qu'il ne me trouve. Parce que dès qu'il me découvrira, ce sera fini. Je ferme les yeux comme si ce simple fait pouvait me prémunir d'être trouvée. Je ne me leurre pas, je suis cachée derrière le rideau de ma chambre à coucher. Heureusement, le soleil en déclinaison n'illumine pas ma silhouette à cette heure, parce que jouer à cache-cache avec un garçonnet qui sait à peine compter, ça demande des cachettes rapides.

D'ailleurs il ne lui faut que quelques minutes pour me dévoiler en faisant un grand arc avec son petit bras. Emmett arbore un large sourire victorieux.

— Trouvée, maman!

— Mais comment as-tu fait? demandé-je en feignant la surprise.

Il est déjà temps. Notre dernière partie de cache-cache est terminée. J'ai le coeur gros; je souris néanmoins. Pour mes enfants, tout doit avoir l'air normal. Un dimanche soir comme les autres où je vais les porter chez Philippe pour la semaine... et d'où ils ne partiront probablement plus si tout se passe comme je l'imagine. Je suis mitigée par une grande tristesse et un immense soulagement. Une partie d'appréhension se joue de chaque côté.

La lettre que j'ai rédigée peut mener à un résultat meilleur que l'autre, et j'ignore lequel je préfère. Pour le moment, j'essaie de ne pas trop penser à la réaction de l'inconnu qui lira ma missive.

— C'est parce que j'suis bon à ce jeu-là! répond mon fils en croisant les bras sur son torse frêle.

Emmett me fait penser à son père de plus en plus, avec sa chevelure châtaine presque blonde constamment en bataille et ses manières de petit homme fier. La poitrine serrée par une tristesse sans nom, fourbue de regret, je le félicite avec un sourire factice et l'enlace avec effusion. Je l'embrasse à répétition sur la tête, sous ses mignonnes invectives.

— Maman, beurk... arrête les bisous...

— Allez, viens, mon trésor. Papa va vous attendre. Tu as trouvé ta soeur?

— Oui, elle est dans la cuisine.

Et évidemment, quand nous en franchissons le seuil tous les deux, Emma est assise sur une chaise, un biscuit à l'avoine dans chaque main, le visage bariolé de chocolat. Je me saisis en vitesse d'un linge humide et lui nettoie le visage en riant. Ses boucles brunes emmêlées combinées à ses petits yeux ronds comme des billes lui donnent un air chafouin trop craquant alors qu'elle mastique sa bouchée. Elle babille des excuses que personne n'est encore en mesure de comprendre... sauf Emmett.

— Elle dit qu'elle est désolée, traduit son frère à mon intention. Ils avaient l'air... trop bons.

Il lorgne sur le butin de sa soeur. J'esquisse un petit sourire en coin en prenant un biscuit dans l'assiette. Il en reste douze.

— Évidemment. Et je parie que toi aussi, tu trouves qu'ils ont l'air bon, mes biscuits aux pépites de chocolat? demandé-je en haussant la voix légèrement.

— Oh oui!

Ses yeux brillent d'anticipation quand je tends le biscuit vers lui.

— Je te le donne, mais tu as intérêt à être sage avec Papa et bien manger pour le souper.

— Promis, Maman!

— Bien.

Sinon Philippe croira que je les ai volontairement bourrés de sucreries pour lui faire des misères, mais ça, impossible de le dire aux enfants. J'essaie de ne pas jouer au même jeu que mon ex, même si parfois il est tentant de faire comme lui et de le dénigrer de façon subtilement directe.

Le fauve écarlateWhere stories live. Discover now