Chapitre 5 - Pressée

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— Nous rentrons à la maison.

Ce sont les premiers mots qui sortent de ma bouche quand Jaëlle et les enfants viennent nous rejoindre, je ne sais trop quand. J'ai perdu la notion du temps en fixant l'endroit où était garée la camionnette, disparue dans un crissement de pneus et une envolée de graviers.

— Oh non! Mais maman...! se plaint Emmett.

Ma mère, normalement si forte, me semble bien frêle quand je l'aide à monter dans mon véhicule. Elle n'a pas l'air de se souvenir des événements, si on exclut la chute du semi-remorque toujours sur les lieux comme une veille carcasse sur le bord de la route, vidé de son contenu. Je me tourne vers mon garçon dépité et lui ébouriffe les cheveux avec tendresse. Le contact m'apaise, moi. Lui continue de s'agiter, les lèvres plissées dans une moue boudeuse adorable.

Dans d'autres circonstances, il aurait probablement eu ce qu'il voulait. Là, c'est impossible.

— Nous nous reprendrons une autre fois, mon grand, dis-je en tentant de garder mon calme. Grand-maman doit aller se reposer, et moi aussi.

— C'est pas juste! s'exclame Emmett en piochant des pieds dans le gravier.

— Emmett, tonné-je. J'ai dit que nous rentrons. Monte dans la voiture, s'il te plaît.

Le garçonnet grommelle un "d'accord, maman" mécontent et entame, en traînant les pieds, de contourner la voiture. Je lève les yeux pour vérifier que personne n'arrive par l'autoroute, et Jaëlle disparaît à moitié par la porte arrière, où elle s'emploie à attacher Emma malgré ses gémissements tristes.

Une fois que mon fils est en sécurité sur la banquette, je reporte mon attention sur ma mère, qui regarde dans le vague, les sourcils froncés, signe qu'un mal de tête lancinant a assailli sa tête. Je caresse sa joue avec tendresse, sincèrement préoccupée par son état, au moment où elle ferme les yeux.

— Ne t'endors pas, maman. Garde les yeux ouverts, s'il te plaît. Tu pourrais avoir une petite commotion.

Puis, lorsqu'elle est assise et que je suis convaincue que je peux m'éloigner, je referme sa portière. Jaëlle, malgré son accoutrement coloré, a l'air d'une adulte sérieuse en cet instant. Ses traits normalement joviaux sont graves, pincés. La ressemblance avec notre mère est indéniable.

— Qu'est-ce qui s'est passé?

Les bras croisés par-dessus sa veste, elle lance un regard vers le véhicule accidenté, puis son attention revient sur moi. Elle hausse un sourcil inquisiteur, et je profite de l'urgence de la situation — et du fait que je dois contourner la voiture — pour trouver quoi répondre. Je ne peux quand même pas lui dire la vérité! En particulier parce que je n'ai encore aucune idée de ce qui s'est exactement passé. Tout me semble irréel, flou, absurde. Je cogite et décide de m'en tenir à une version édulcorée, le plus près possible de la vérité. Une fois protégée par la portière que je viens d'ouvrir, je réponds :

— Le conducteur était blessé, et les hommes de la fourgonnette l'ont emmené, résumé-je. Quant à maman, elle a eu un malaise pendant qu'on discutait avec l'un d'eux.

Simple, concis, partiellement vrai. Parfait.

— Avez-vous appelé la police? demande Jaëlle alors que je m'apprête à monter dans la voiture.

— Non, pas besoin, réponds-je en forçant un sourire sur mes lèvres.

Celles-ci me donnent l'impression d'avoir embrassé un tison en raison de la menthe qui la parfume encore, et je me détourne comme si ma soeur pouvait être témoin des images qui me reviennent en tête, ainsi que du petit laïus de l'inconnu. La panthère au perfecto rouge s'est frayée un chemin dans mes pensées comme la pointe de la lame dans la peau de son cou.

Le fauve écarlateWhere stories live. Discover now