Chapitre 4 - Sonnée

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Les semaines que je passe avec les enfants sont encore plus courtes, on dirait. Sitôt sont-ils de retour chez maman, sitôt doivent-ils repartir chez papa. Emmet commence l'école demain, il est excité sans bon sens et passe tout le temps qu'il me faut pour nous préparer en vue du pique-nique à regarder sous toutes les coutures son sac à dos, sa boîte à lunch et ses espadrilles neuves, en répétant qu'il en prendra grand soin et qu'il espère se faire plein de nouveaux amis.

— Je suis convaincue que ce sera le cas, mon poussin, dis-je en bouclant nos affaires dans la voiture. Tu es un petit garçon intelligent et très drôle.

Lorsque, satisfait de ma réponse, il sautille en bas de la galerie pour aller porter ses affaires dans la voiture, j'appelle les autres et nous montons à notre tour. Comme chaque fois, assis dans leurs bancs, les enfants se disputent l'attention de Jaëlle pendant que ma mère et moi discutons des trois mêmes sujets en boucle : mon ex, qui a tous les défauts du monde, Jessica, qu'elle n'a jamais vraiment aimée, car trop dévergondée, et ma vie sentimentale.

— Et ce Brian, demande-t-elle enfin, comment va-t-il? Tu ne m'en as pas parlé cette semaine...

Je sourcille à peine. J'ai eu le temps de me faire à l'idée.

— Mieux depuis qu'il ne risque plus d'être beau-père à vingt-huit ans.

— Oh, Lyvie, ma chérie...

Ma mère est terriblement empathique à ma situation, je le sais, et ça me touche... mais je ne suis même pas triste, en fait.

— Je m'y attendais, m'man. C'est toujours la même histoire, tu le sais bien.

Dans le rétroviseur, ma sœur m'observe en silence, un sourcil haussé. Elle doit trouver étrange mon manque de réaction. Moi aussi. J'ai passé la semaine à attendre les larmes, qui ne sont jamais venues. Je savais que je n'étais pas amoureuse de Brian, mais je l'aimais assez pour être fâchée de sa désertion. Après quelques jours, j'ai été étonnée de constater mon absence totale de déprime. J'ai continué à vivre comme je le faisais depuis ma séparation d'avec Philippe, et voilà tout. J'ai joué avec les enfants, cuisiné, travaillé, parlé avec Jessica une ou deux fois par texto (elle est sur une grosse affaire, encore) et pris un café avec Jaëlle jeudi.

— Mieux vaut être seule que mal accompagnée, ajouté-je pour combler le silence.

Les enfants continuent de chanter, mais ma sœur et ma mère sont visiblement préoccupées. Cette dernière me tapote la cuisse avec affection.

— Tu vas voir, ma belle Lyvie, tu trouveras chaussure à ton pied.

Sur l'autoroute, un semi-remorque nous dépasse en trombe. Crispée, je laisse une distance de trois voitures pour rouler derrière. Heureusement, notre sortie arrive bientôt... pourtant le camion sort à la même place que nous. Je conserve l'espace généreux entre nos véhicules, mal à l'aise.

— C'est bon, maman, dis-je en tentant de me concentrer sur autre chose que les scénarios catastrophes impliquant un accident avec un semi-remorque. Tant qu'à sortir avec un homme qui n'entrerait que temporairement dans la vie des enfants, je préfère rester célibataire. En plus, je suis trop indépendante pour la plupart des hommes.

Parce qu'apparemment, le fait que ma vie ne tourne pas exclusivement autour de mon chéri est une abomination! Je rumine mentalement pour éviter de lancer ma mère sur le sujet de l'indépendance des femmes.

— On est presque arrivés? demande Emmett, coupant court au silence pesant dans l'habitacle avec sa voix de crécelle.

Emma tente de l'imiter, avec beaucoup moins de succès syntaxique.

Le fauve écarlateحيث تعيش القصص. اكتشف الآن