Chapitre 3 - Partie 1

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Perché sur le toit de l'ancien beffroi, l'assassin observait la ville qui s'étendait sous ses pieds. Taewe avait connu une croissance impressionnante au cours des dernières décennies. Ces longues années de paix, événement inédit dans l'histoire de Riglian, avaient permis l'émergence de nouveaux riches, des marchands pour la plupart, qui avaient prospéré grâce à un commerce fructueux et des taxes plus faibles. Désireux d'étaler leur bonne fortune, ceux-ci s'étaient fait construire des demeures plus luxueuses et plus extravagantes les unes que les autres. Partout, le bois se mêlait à la pierre ou à la terre cuite. Tours, corniches, balcons et terrasses se multipliaient dans un chaos tel que le soleil peinait à se frayer un chemin jusqu'à certaines rues. Les quartiers pauvres n'échappaient pas à cette anarchie architecturale. Le Dédale, nom donné au secteur qui encadrait le port à cause de ses minuscules ruelles dans lesquelles, personne à part ses habitants n'arrivait à se repérer, avait vu sa population plus que doubler durant le règne du roi Arzhel I. Les pauvres bougres, attirés à la capitale, par l'espoir d'un bon travail et d'une possible ascension sociale, s'entassaient dans des habitations de fortunes, bâties les unes par-dessus les autres au mépris de toute notion esthétique ou sécuritaire. Il n'était d'ailleurs pas rare qu'un de ses bâtiments s'effondre. On reconstruisait alors sur les ruines un autre immeuble branlant, souvent encore plus haut que le premier.

Callum soupira. Ce monde ne tournait pas tout à fait rond et rien ne pourrait changer ça. Il pensa à son père dont la foi en l'humanité avait toujours été inébranlable. Il n'avait pas vu, ou n'avait pas voulu voir, la vermine qui sévissait aussi bien dans les bas-fonds que dans les hautes sphères. Les livres, aussi bien les histoires que les traités de philosophie, brossaient un portrait idéalisé du monde. La réalité était bien plus moche. Les humains, si sûrs de leur supériorité, ne valaient pas mieux que les animaux. Au contraire. Les bêtes tuaient pour se nourrir. Aucun être dans la nature n'était aussi cruel et inconsistant que l'homme. Son naïf de père en avait fait l'amère expérience. A aimer tout le monde, il y avait laissé la vie. A cette pensée, l'assassin sentit la colère monter. Il inspira profondément. Cette rage qui ne le quittait jamais vraiment, il avait appris à vivre avec. Elle était son moteur, ce qui lui avait permis de tenir toutes ses années. Au cours du temps, elle avait changé de forme. Le volcan bouillonnant s'était transformé en une rivière glacée qui anesthésiait toute autre forme de sentiment. Celui qu'il était avant d'arriver ici était mort, tué par cette haine qui empoissonnait son cœur. Il ignorait ce qu'il adviendrait de lui quand celle-ci disparaîtrait, quand, enfin, il vengerait la mort de son géniteur.

Le vent, de plus en plus fort, ne cessait de rabattre sa capuche. Une bruine tombait, imprégnant ses vêtements et ses cheveux d'humidité. Il n'avait cure de ses désagréments, mais il se décida quand même à quitter son refuge. Derrière les nuages noirs, loin à l'horizon, le ciel se parait de nuances orangées annonçant la fin de la tempête et le début d'une nouvelle journée. Il était temps de rentrer. La place d'une ombre ne se trouvait pas dans la lumière, mais dans l'obscurité, reflet des ténèbres qui assombrissaient son coeur.

Une volée de ratons des guildes s'éparpilla quand il pénétra dans leur domaine. Si les souterrains étaient le repaire des rats adultes, les orphelins, eux, avaient investi l'ancien beffroi où ils vivaient en bande plus ou moins organisée. Callum ne s'attarda pas. Sa place n'était pas ici. Sa progression jusqu'à la sortie de l'immense tour se fit sous le regard inquiet des enfants. Il venait profiter du point de vue régulièrement, mais les gosses ne parvenaient pas à s'habituer à sa présence. Comment les en blâmer ? Ici, encore plus qu'ailleurs, les ombres incarnaient la mort. Ces gamins avaient, pour la plupart déjà perdu, leur père, leur mère, un frère, une sœur, un ami ou tout ça à la fois. Ils savaient mieux que quiconque que la lame de Bàas pouvait s'abattre à n'importe quel moment.

Le prince et l'assassin - tome 1 : les rats [ a l'arrêt]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora