Chapitre 20 - Partie 2

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Une fois la porte fermée, Fleur-de-Lune retourna se blottir contre Aidan. Les yeux brillants, les poings serrés, le prince semblait bien avoir besoin d'un gros câlin.

— Il n'a pas le droit de me traiter comme ça, murmura-t-il. Je ne suis pas son jouet.

Fleur-de-Lune se contenta de le serrer plus fort. Même si elle avait su parler, elle n'aurait sans doute rien trouvé à dire face à cette affirmation.

— Je ne sais plus quoi penser, Fleur-de-Lune. C'est comme s'il avait une double personnalité, que Clayton et Callum se disputaient à l'intérieur. J'aime Clayton. Je crois que je l'ai toujours aimé... D'aussi loin que je me souvienne... mais cet autre lui... Il me terrifie. Et j'ai peur... j'ai peur qu'un jour, Callum gagne la partie et que Clayton disparaisse à jamais.

La fillette leva vers lui ses grands yeux, des yeux d'un bleu si pur qu'il en donnait le tournis. Aidan se rappela alors qu'elle n'avait jamais connu que Callum. L'étranger, pour elle, c'était Clayton. Il se demanda comment elle pouvait être aussi proche de l'assassin, comment elle supportait ses sautes d'humeur, ses réponses laconiques, cette violence refoulée qui suintait par tous les pores de sa peau... Quoiqu'en sa présence, celle-ci semblait s'atténuer. Peut-être que c'était lui, le problème, qu'il se voilait la face en pensant que Clayton avait la moindre chance de l'emporter, que c'était non seulement possible, mais souhaitable. Il ignorait ce que son ami avait vécu pour devenir une ombre, mais il en avait eu un bref aperçu. Les cicatrices sur son corps, les coups de fouet, les paroles de Silus... Avec ses yeux d'enfants, Il avait toujours vu Clayton comme quelqu'un de fort, d'indestructible, le rocher sur lequel il pouvait s'appuyer, mais en vérité, ce n'était qu'un petit garçon quand il avait rejoint les rats, un orphelin, seul et vulnérable. Peut-être qu'il avait besoin d'être Callum pour survivre, qu'il était naïf et égoïste de vouloir retrouver celui qu'il avait connu, que c'était plutôt lui qui devait changer, ne plus se comporter comme un gosse, mais comme un prince.

Doucement, il repoussa Fleur-de-Lune, avant de se diriger vers la porte. Celle-ci le suivit, le regardant avec étonnement ouvrir le verrou. Quand il posa la main sur la poignée, elle attrapa le bas de sa chemise comme pour l'empêcher de partir.

— Je dois aller vérifier quelque chose, dit-il en s'agenouillant pour se mettre à sa hauteur.

La fillette le fixa d'un air buté. Son regard, plus parlant que n'importe quel langage, semblait dire : « Callum nous a dit de l'attendre ici ».

— Je sais, murmura-t-il.

Rien que d'imaginer la réaction de l'assassin s'il rentrait et trouvait la chambre vide, il sentit un filet de sueur couler le long de son échine. Il chassa cette idée avant de se défiler. Ces Islaodians qu'il avait croisés, ce n'était pas normal. La présence de l'un d'entre eux, cela pouvait s'expliquer par les activités de contrebande des rats, mais toute une troupe... Aidan craignait de comprendre ce que cela voulait dire... Pire que Clayton soit impliqué là-dedans. Les mots qu'il lui avait balancés quelques semaines plus tôt lui revinrent en mémoire. « Traître ». Il ne les pensait pas. Du moins, pas vraiment. Pas dans ce sens-là. Il pouvait admettre que la haine que ressentait l'assassin l'ait poussé à trahir la couronne, mais pas le royaume... Le garçon qu'il avait connu serait mort pour défendre Riglian. Jamais il n'aurait livré à l'Empire et son dieu sanglant. Pourtant, sa réaction semblait indiquer qu'il était au courant. Il fallait qu'il en ait le cœur net et il refusait d'attendre sagement que Clayton daigne se montrer pour lui poser ses questions. Pour peu que ce dernier consente à lui accorder autre chose qu'un grognement laconique avant de l'envoyer se coucher comme on le ferait d'un enfant trop curieux.

Il se leva et quitta la pièce sans se retourner, certain que, s'il tergiversait ne serait-ce qu'une seconde de plus, le peu de détermination qu'il avait réussi à réunir s'envolerait aussitôt. Il sentit alors une petite main se glisser dans la sienne. Fleur-de-Lune. Non ! Si on les trouvait ensemble, elle risquait d'avoir des ennuis et, ça, il ne se le pardonnerait pas.

Il se tourna vers elle avec l'intention de la renvoyer, mais le regard, bien trop adulte de la fillette, l'en dissuada. Cette gosse pouvait être plus têtue qu'un troupeau de mules. Par certains aspects, elle lui rappelait Clayton. Lui non plus ne l'aurait jamais laissé affronter seul le danger. Même si, à l'époque, c'était souvent le jeune Bellamont qui les mettait dans des situations périlleuses.

— Si quoi que ce soit tourne mal, je veux que tu t'enfuies. Promets-le-moi, insista-t-il devant le manque de réaction de l'enfant.

Celle-ci finit par hocher la tête et Aidan reprit sa route. Il progressait en silence, sursautant au moindre bruit. Mais, à son grand soulagement, les seuls rats qu'il rencontra possédaient quatre pattes et un manteau de fourrure. Il arriva à l'endroit où il avait croisé la troupe d'Islaodians. Du moins, il était presque sûr que c'était là. Les galeries ici se ressemblaient toutes. Il s'arrêta, s'interrogeant sur la marche à suivre. Jouer les espions ne faisait pas partie de ses occupations habituelles. Au palais, il essayait au contraire de ne pas entendre ce qui se chuchotait sur lui.

À côté de lui, Fleur-de-Lune se racla la gorge pour attirer son attention. D'un signe de tête, elle lui désigna ensuite le couloir à leur droite. L'étonnement dut se lire sur son visage, car l'enfant haussa les épaules, l'air de dire « je ne peux peut-être pas parler, mais je ne suis ni sourde ni aveugle. Et je ne suis pas non plus stupide ».

— Excuse-moi, dit-il avant de demander par précaution, les types qu'on a croisés tout à l'heure, tu penses qu'ils sont par-là ? demanda-t-il tout de même.

Fleur-de-Lune acquiesça.

— Merci, je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

La fillette sourit avant de mettre un doigt sur sa bouche pour l'enjoindre au silence. Elle le poussa ensuite dans un recoin sombre. Quelques secondes plus tard, Aidan entendit des bruits de bottes, puis quelqu'un s'exclamer :

— Dépêche-toi, on va être en retard.

Aidan serra Fleur-de-Lune contre lui. Il l'avait échappé belle. Sans elle, il serait jeté tout droit dans les bras de ces types. Les types en question, au nombre de quatre, passèrent juste à côté d'eux. Le prince retint son souffle. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu'il craignait de trahir leur position, mais les hommes s'éloignèrent sans leur prêter attention. Aidan recommença alors à respirer.

Cette fois, il laissa Fleur-de-Lune les guider. La fillette progressait quelques mètres devant lui, vérifiant que la voie était libre pour qu'il puisse avancer à son tour. Elle le mena ainsi jusqu'à une grande pièce qui semblait avoir été réquisitionnée pour servir de campement à une armée. Des paillasses de fortune recouvraient chaque centimètre d'espace disponible. L'endroit était désert, mais l'odeur qui s'en dégageait témoignait de son occupation récente. Aidan se cacha le nez dans la manche pour se protéger des effluves de sueur et d'urine qui agressait ses narines, le parfum de plusieurs dizaines d'hommes, entassés les uns sur les autres et obligés de faire leur besoin dans des seaux posés à quelques mètres seulement de l'endroit où ils dormaient. Depuis son arrivée ici, il avait dû sérieusement revoir à la baisse ces normes d'hygiène, mais là, c'était trop pour lui. Il sortit de la pièce sous le regard de Fleur-de-Lune que ces émanations nauséabondes ne paraissaient pas déranger plus que ça.

Il s'assit sur le sol et se prit le visage entre les mains, comme assommé par ce qu'il venait de découvrir. En l'absence de ses occupants, difficile de se faire une idée précise du nombre d'Islaodians qui séjournaient ici, mais une chose était sûre. Il ne s'agissait pas d'un groupe isolé. Silus était en train de réunir une armée.

La tête lui tournait comme s'il avait bu trop de vin. Le royaume était en danger. Son père était en danger. Et Clayton le savait. Il le savait depuis le début. Prenant appui contre le mur pour ne pas tomber, il se leva. Ses yeux se posèrent sur Fleur-de-Lune qui l'observait, dans l'attente.

— Comment on sort d'ici ? lui demanda-t-il. 

Le prince et l'assassin - tome 1 : les rats [ a l'arrêt]Where stories live. Discover now