Chapitre 7 - partie 1

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Aidan somnolait quand la porte de sa cellule s'ouvrit à nouveau. Allongé sur le sol, il ne vit d'abord qu'une paire de bottes qui avançait vers lui.

— Il faut que tu manges, dit Callum en déposant devant lui un quart de miche de pain et un bol de soupe.

Un fumet agréable monta jusqu'aux narines d'Aidan, lui aiguisant l'appétit. Désormais totalement éveillé, il passa en position assise.

— Non, dit-il en soutenant le regard de Callum qui l'observait, adossé au mur, les bras croisés sur la poitrine.

L'assassin fronça les sourcils.

— Comment ça, non ? Tu crois vraiment que tu as le choix ?

L'intonation menaçante fit frémir le prince, mais il en avait plus qu'assez d'avoir peur tout le temps. Surtout, il ne voulait plus croire que son ancien ami puisse lui vouloir du mal. Car une part de Clayton subsistait chez l'Ombre. La preuve en était du repas qu'il venait de lui apporter.

— Pourquoi ? Tu vas me nourrir de force ? répliqua-t-il, et, a son grand étonnement, sa voix, même si elle restait horriblement aiguë, ne trembla pas.

— S'il le faut, répondit Callum sans se départir de son calme. Mais je préférerais éviter d'en arriver là.

— Alors, dis-moi ce que tu comptes faire de moi. Ces types, ils disent que je t'appartiens...

Sa voix se brisa tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Son moment de bravoure n'avait pas duré bien longtemps, voilà qu'il se mettait à pleurer comme un enfant, incapable de surmonter la dure réalité de sa situation.

En face de lui, Callum se mordit la lèvre, l'air ennuyé, et Aidan reconnut quelques traits du garçon qu'il avait connu. Loin de l'apaiser, cela ne fit qu'amplifier ses sanglots.

— Pourquoi ? Pourquoi, Clayton ? balbutia-t-il.

Celui-ci se laissa tomber à côté de son ancien ami. Sans un regard pour ce dernier, il coupa un morceau de pain et commença à pétrir la mie jaunâtre, si différente de celle, blanche, qui sortait des cuisines du palais. Il garda le silence un moment, les yeux fixés sur ses mains qui malaxaient activement cette matière molle tandis qu'Aidan reniflait pour chasser ses larmes.

— Parce que s'en prendre à toi est le meilleur moyen d'atteindre ton père, murmura-t-il finalement, si bas que le prince faillit ne pas l'entendre.

Aidan prit le temps d'intégrer la réponse. Il observa Callum qui gardait la tête obstinément baissée, ses boucles brunes masquant son visage. Il le revit des années plus tôt, exactement dans la même position, les muscles tendus, le regard fuyant. Ce jour-là, il s'était disputé avec son père.

— Tu le hais à ce point ? demanda le prince avec douceur. Tu l'admirais pourtant à l'époque.

Callum daigna enfin se tourner vers Aidan. Ses yeux, si sombres que l'iris se confondait avec la pupille, étaient brillants de rage. Ou bien, peut-être s'agissait-il de tristesse. Difficile de le déterminer dans la pénombre qui les entourait.

— Bien sûr que je le hais ! Il a assassiné mon père !

— Ce n'était pas un assassinat, mais une exécution. Ton père a trahi la couronne. Il prévoyait de me faire assassiner, démentit le prince avec un calme qui l'étonna lui-même.

À cet instant, il ne ressentait plus ni peur ni colère. Elle s'était comme évaporée face à la révélation qu'il venait d'avoir. Ce n'était pas lui que détestait l'assassin, mais son père. Mais si Aidan se sentait apaisé, ce n'était pas le cas de Callum. Celui-ci jeta la boule de pain, désormais totalement écrasé, au sol et se leva, le visage déformé par la haine.

— Mon père n'était pas un traître. Il t'aimait, presque comme un fils. Il n'aurait jamais essayé de te faire du mal.

Aidan ne répondit pas. Lui aussi était tombé des nues quand son père lui avait expliqué ce qui était reproché à Lord Bellamont. Clayton et lui étaient tous les deux si jeunes quand celui-ci avait été arrêté, trop pour comprendre les intrigues qui se tramaient autour d'eux. En revanche, le prince se souvenait parfaitement de ce jour-là. Clayton et lui s'entraînaient dans la cour intérieure quand les gardes étaient passés en traînant Sir Bellamont menotté. Du sang coulait de sa lèvre et son œil gauche était si gonflé qu'il ne pouvait plus l'ouvrir. Clayton, fidèle à lui-même, avait bondi sans même réfléchir. Il avait fallu l'intervention de trois soldats pour le maîtriser et l'empêcher de s'en prendre aux hommes qui retenaient son père. Aidan, lui, n'avait rien fait, comme d'habitude. Il était resté là, figé de stupeur, tandis qu'on emmenait son ami qui hurlait et se débattait. Il ne l'avait plus jamais revu. Du moins pas avant cette fameuse nuit où on l'avait tiré de son lit pour l'enfermer ici. À ce souvenir, il sentit une colère sourde monter en lui, se nourrissant de toute cette incompréhension qui le torturait depuis des années. Pourquoi avait-on assassiné sa mère, si douce et gentille ? Pourquoi cet homme qu'il admirait avait-il tenté de le tuer ? Pourquoi son ami était-il parti, l'abandonnant dans cette cour hostile ? Pourquoi, aujourd'hui encore, laissait-il ces brutes s'en prendre à lui ?

— Mon père n'était pas un traître, insista Clayton.

— Admettons, dit-il d'une voix froide qu'il ne reconnut pas. En tous cas, toi, tu en es devenu un.

Aidan regretta ses mots aussitôt qu'ils franchirent ses lèvres et toute sa colère disparut. En face de lui, Clayton avait pâli. La façon dont il le regardait n'aurait pas été différente s'il avait sorti un couteau de derrière son dos pour le lui planter dans le cœur. Sa main glissa vers la dague qu'il portait à sa ceinture, et l'espace d'un instant, le prince craignit pour sa vie.

— Je... commença-t-il avant de se raviser.

Il allait s'excuser, dire qu'il ne le pensait pas vraiment, mais cela aurait été mentir. Son allégeance à Silus faisait de Clayton un traître à la couronne. Aidan devait l'accepter. Quoi qu'il se passe par la suite, et, même s'il parvenait à rappeler à son ami qui il était, rien ne redeviendrait jamais comme avant. Clayton et lui n'appartenaient plus au même monde.

Clayton dû arriver à la même conclusion, car il interrompit son geste.

— Mange, dit-il d'une voix qui n'avait plus rien d'amical. Ou pas. Ouais, c'est ça. Fais comme tu veux, Aidan. Après tout, si tu te laisses crever de faim, c'est ton problème. Pas le mien.

Sur ces mots, il tourna les talons sans un regard pour son prisonnier.

La porte claqua violemment, faisant sursauter Aidan. Le bruit résonna à l'intérieur de lui, détruisant ses dernières défenses. Il éclata en sanglot, persuadé, que cette fois-ci, c'était vraiment fini. Son ami était parti pour de bon et c'était en partie sa faute.  

Le prince et l'assassin - tome 1 : les rats [ a l'arrêt]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant