Chapitre 5

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Le son d'une clé qu'on tourne dans la serrure tira Aidan du sommeil. Il ouvrit les yeux avec difficulté. La nuit — ou la journée, difficile de trancher dans cette obscurité perpétuelle — avait été compliquée. Grelottant de froid et de peur, il avait passé des heures à bondir au moindre bruit. Le son des pattes des rats grattant le sol en pierre avait bien failli le rendre fou. L'un d'eux lui était même monté dessus. Heureusement, les hurlements du prince, ainsi que ses gesticulations désespérées pour s'en débarrasser avaient dissuadé le petit curieux de poursuivre son exploration.

— Je vois que tu as réussi à vaincre ta peur du noir, fit une voix bien connue d'Aidan.

Clayton. Il se tenait dans l'encadrement de la porte, une lanterne à la main. Honteux d'apparaître ainsi en position de faiblesse, Aidan se releva malgré les protestations de ses muscles engourdis.

— Clayton, dit-il en esquissant un pas dans sa direction.

Ses jambes cotonneuses cédèrent sous lui et il fut obligé de se rattraper au mur. Un éclair passa dans le regard de Clayton, et, l'espace d'une seconde, le prince crut qu'il allait se précipiter vers lui. Puis la lueur disparut et les yeux de l'assassin retrouvèrent toute leur noirceur.

— Ne m'appelle pas comme ça. Je te l'ai dit, Clayton est mort. Je suis Callum, maintenant.

— Je vois, murmura Aidan. Callum. Callum, l'ombre.

Ces mots lui laissaient un goût amer dans la bouche. Il avait beau savoir que Clayton n'existait plus, le fait de le voir là, en face de lui, à la fois si semblable et si différent, avait ravivé les braises de l'espoir. Un feu naissant que l'ombre s'était vite chargée d'éteindre. Et pourtant... L'assassin semblait troublé. Quelqu'un d'autre ne l'aurait sans doute pas remarqué, mais Aidan n'avait pu louper le léger tressaillement de sa lèvre supérieure au moment où il avait prononcé le mot « ombre », le même tic que quand, enfant, quelque chose le gênait.

— Ouais, grogna Clayton — ou plutôt Callum — en se tournant pour fermer la porte. Je suis heureux que tu l'aies compris. Je n'ai plus rien à voir avec celui que tu as connu. Tiens, ajouta—t-il en lui jetant un sac de toile, je t'ai ramené une couverture, ainsi que de quoi te vêtir plus « convenablement ».

Aidan baissa les yeux sur la chemise de nuit qui lui arrivait à mi-cuisse. Autrefois blanche, elle arborait désormais une teinte marronnasse peu engageante. Il ne parvenait pas à croire qu'on lui ait fait traverser la ville dans cette tenue. De parfaits inconnus l'avaient vu, s'étaient moqués de lui, le prince déchu qu'on traînait, attaché comme un criminel. Il se sentait humilié. Pire, il avait l'impression d'avoir été violé, blessé dans son intimité.

Rouge de honte, il se pencha sur le sac pour échapper au regard de Clayton. Encore plus que pour les autres, il avait du mal à accepter que son ancien ami assiste à sa déchéance.

— Mais ce sont des habits d'esclaves ! s'exclama-t-il en découvrant un vulgaire pantalon en toile de jute et une tunique du même tissu.

Le visage de l'assassin se crispa et Aidan ne put s'empêcher de faire un pas en arrière, effrayé par l'aura meurtrière qui se dégageait de lui. Il devait garder en tête que ce n'était pas Clayton qui se tenait en face de lui, mais Callum, une ombre, un tueur au sang froid et à l'âme aussi noire que sa tenue. Un tueur que, de toute évidence, il venait de vexer.

— C'est ce que portent la plupart des gens ici. Mais si son « altesse » préfère garder sa belle chemise de flanelle, je les reprends, dit-il, la main tendue vers les vêtements que tenait Aidan.

Celui-ci recula en les serrant contre lui. Un léger sourire étira les lèvres de l'assassin qui avança à son tour jusqu'à ce qu'Aidan se retrouve acculé contre le mur froid de sa cellule. Il s'arrêta à quelques centimètres seulement du prince, si près que le jeune homme pouvait sentir son odeur. Une odeur brute, mélange entêtant de savon et de sueur.

— Alors, « altesse », quel est ton choix ? demanda-t-il de sa voix grave, si différente de celle dont se souvenait Aidan.

— Aidan, murmura ce dernier.

Callum plissa les yeux.

— Pardon ?

— Aidan, répéta le prince qui n'en revenait pas de sa propre audace. Pas « altesse ». Tu m'as toujours appelé par mon prénom. Tu étais l'un des seuls, d'ailleurs.

Une ombre indéfinissable passa dans le regard de l'assassin.

— C'était il y a bien longtemps.

— Je ne vois aucune raison pour que cela change.

Callum éclata de rire, un rire sinistre, sans joie qui fit trembler Aidan.

— Aucune raison, dit-il en essuyant une larme qui perlait au coin de son œil. Tu ne vois aucune raison pour que cela change ! Putain, Aidan, tu réalises où nous sommes ?! Qui nous sommes ?! Rien ne sera plus jamais comme avant.

En se rendant compte que, par inadvertance, il avait appelé le prince par son prénom, l'assassin se figea.

— Change-toi, lança-t-il d'une voix assourdie. Je doute que ma réputation suffise à te protéger si tu continues à te balader à moitié nu.

Sur ces mots, il tourna les talons. Aidan le regarda s'éloigner en serrant son tas de vêtements. Son cœur battait la chamade et il ne savait pas s'il devait se sentir triste ou soulagé du départ de l'ombre.

Juste avant de sortir, l'assassin accrocha sa lampe à un crochet situé juste à côté de la porte. Prenant son courage à deux mains, Aidan le retint.

— Clay... Callum.

— Quoi ? grogna celui-ci, une main sur la poignée.

— Mer... Merci. Pour les vêtements. Et pour la lampe.

— De rien, marmonna-t-il avant de claquer la porte derrière lui.

Aidan soupira. Son sort demeurait incertain, mais, même si ce Callum était très différent du Clayton qu'il avait connu, il ne semblait pas nourrir de mauvaises intentions à son égard. Peut-être restait-il un peu de l'affection mutuelle qu'ils ressentaient à l'époque l'un pour l'autre au milieu de toute cette noirceur qui grignotait l'âme de son ancien ami. Aidan voulait y croire. Il s'accrochait à cet infime espoir, maigre lueur, qui telle cette lanterne qui brillait pour chasser les ténèbres de sa cellule, éloignait le désespoir de son cœur. 

Le prince et l'assassin - tome 1 : les rats [ a l'arrêt]Where stories live. Discover now