Chapitre 8 - partie 2

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Les rêves d'Aidan le ramenèrent loin dans le passé. Il devait avoir sept ans, peut-être huit. Il aurait préféré rester tout l'après-midi dans la bibliothèque royale, mais son père avait insisté pour qu'il s'entraîne à l'épée avec les autres jeunes nobles du palais. Aidan les détestait tous. Car, si leurs parents rampaient presque devant le roi, leur progéniture ne se gênait pas pour martyriser ce petit prince aux cheveux blonds et aux grands yeux bleus qui ne ressemblait en rien à un riglianien. L'idée de se retrouver face à eux, une épée en bois à la main le terrifiait. Car si en temps normal aucun d'eux n'auraient osé s'en prendre physiquement à l'héritier, le cadre de l'exercice changeait tout. Avec la complicité de Jauffre, le maître d'armes, ils n'hésitaient pas à frapper fort. Les prochaines heures s'annonçaient donc pour Aidan synonymes d'humiliations et de douleurs. Humiliations et douleurs dont il ne pourrait se plaindre à personne, car elles étaient censées l'endurcir et faire de lui un homme.

Désireux de passer inaperçu, il se plaça à l'arrière du groupe. Mais l'un des principaux inconvénients d'être prince, c'est que l'attention finit toujours par se focaliser sur vous.

— Le prince voudrait-il nous faire une démonstration de son talent ? lança Jauffre sous les ricanements des autres élèves.

Tous savaient qu'Aidan ne possédait strictement aucun talent pour le maniement des armes. Ou pour toutes autres activités physiques, d'ailleurs. Une pneumonie, l'hiver de ses trois ans, l'avait forcé à rester alité pendant plusieurs mois. Il avait guéri, mais était resté plutôt petit et frêle pour son âge. D'autres mauvaises langues prétendaient que c'était la faute de sa défunte mère qui l'avait trop couvé. La raison n'avait guère d'importance, Aidan manquait de forces et était facilement essoufflé, raison pour laquelle il préférait l'entourage des milliers de livres de la bibliothèque à celui de ces petits coqs toujours en train de se battre.

— Votre Altesse, insista Jauffre.

Aidan soupira et avança bravement au centre de la pièce où un esclave lui tendit une épée en bois. Plus vite le combat commencerait, plus vite il se terminerait.

— Aymeric, appela ensuite le maître d'armes.

Aidan grimaça en voyant le garçon le rejoindre au centre, l'air sûr de lui. Et pour cause... À presque onze ans, le jeune écuyer mesurait bien deux têtes de plus que le prince. Le pire dans tout ça, c'était qu'une fois encore, ce dernier ne pourrait pas se plaindre de ce choix d'adversaire pour le moins inégal. En effet, en tant que duc fils du duc de Daor, Aymeric était l'un des seuls ici à pouvoir prétendre affronter l'héritier de la couronne. Et ce malgré le fait qu'il prenne toujours un malin plaisir à le martyriser.

— Prêt, altesse ? demanda-t-il d'un ton moqueur.

Aidan ne répondit pas à cette provocation et se mit en position, bien décidé à faire de son mieux. Moins d'une minute plus tard, son épée lui était arrachée des mains.

— Ramasse là, ordonna Jauffre à l'enfant qui gémissait en berçant son poignet douloureux.

Aidan s'exécuta malgré les larmes qui lui brûlaient les yeux. Cette fois, Aymeric se contenta de se défendre, parant avec désinvolture et moqueries les attaques de plus en plus désespérées du prince. La douleur lancinante dans son poignet, les rires de ses camarades, le regard méprisant du maître d'armes... s'en fut trop pour Aidan qui lâcha son arme.

— Ramasse là immédiatement, le somma Jauffre.

– Non, murmura Aidan, les yeux baissés, trop effrayé pour réellement s'opposer à un adulte.

— Arrête de marmonner dans tes dents. Si tu as quelque chose à dire, parle plus fort que tout le monde t'entende, le réprimanda le maître d'armes. Comment peux-tu espérer gouverner un jour le royaume si tu n'es pas capable d'exprimer ce que tu penses ?

Aidan chercha du soutien du côté des gardes qui assistaient à la scène, mais ceux-ci détournèrent les yeux. Malgré leur affection pour le jeune prince, ils partageaient l'opinion de l'instructeur.

—Ramasse cette putain d'épée et bats-toi, lui intima Jauffre.

Incapable de lui tenir tête, Aidan se résigna à obéir, sa mince tentative de rébellion étouffée dans l'œuf. Mais quand il voulut ramasser son épée, celle-ci ne se trouvait plus sur le sol en sciure. Son regard se posa sur Clayton qui se tenait entre lui et Aymeric, l'arme à la main.

— Sir Bellamont, intervint le maître d'armes. Je ne crois pas vous avoir dit que c'était à votre tour de vous battre. Rendez cette épée au prince et retournez auprès de vos camarades.

— Le prince a dit qu'il ne voulait plus se battre, rétorqua Clayton.

À moitié dissimilés par ses cheveux en batailles, ses yeux noirs brillaient de défi. « C'est lui qui aurait dû être prince », songea Aidan. Il savait qu'il n'était pas le seul à se faire cette réflexion. Le père de Clayton aurait pu être roi s'il l'avait voulu, mais il avait préféré rester dans l'ombre de son ami. Aujourd'hui, beaucoup à la cour le regrettaient, car il était évident que le jeune Bellamont ferait un bien meilleur souverain qu'Aidan.

— Je ne l'ai pas entendu dire ça.

— Moi si, répliqua Clayton. Oseriez-vous remettre ma parole en doute ou aller contre la volonté de votre prince ?

Un mauvais pressentiment saisit Aidan. Jauffre ne laisserait jamais passer un tel affront, il s'en allait de son autorité. Et s'il n'aurait jamais pris le risque de blesser gravement le fils du roi, il ne s'embarrasserait pas des mêmes scrupules vis-à-vis de Clayton.

Une lueur mauvaise traversa le regard du maître d'armes, confirmant les soupçons du prince. Aidan ouvrit la bouche. Il était l'héritier du trône. Un jour, il succéderait à son père et se retrouverait à la tête du pays. Il n'avait qu'à faire entendre sa voix pour arrêter le combat et protéger son ami. Mais les mots restèrent coincés au fond de sa gorge, le condamnant à assister, muet, à la scène qui se déroulait sous ses yeux et dont il devinait l'issue.

— Tu veux te battre, Clayton, dit Jauffre. Très bien. Aymeric.

Le garçon s'avança en souriant, comme un chien de chasse heureux de ramener sa proie à son maître.

Aidan avait toujours cru que le fils du duc de Daor prenait un malin plaisir à le martyriser, mais avec Clayton, cela prit une tout autre dimension. Le petit garçon se battait comme un diable, mais il était plus jeune, moins fort et moins expérimenté que son adversaire qui sanctionnait chacune de ses erreurs d'un coup bien senti. Les armes en bois dont ils se servaient ne pouvaient pas infliger de blessures graves, mais cela ne les empêchait pas de laisser de belles marques marbrées sur la peau. Le pauvre Clayton devait être couvert d'hématomes. Cela ne l'empêcha pourtant pas de ramasser l'épée quand celle-ci lui fut arrachée des mains. Aymeric échangea un regard avec l'instructeur. Le prince savait ce qu'ils pensaient. En Riglian, on respectait le courage et Clayton venait de démontrer sa bravoure. Son insolence était pardonnée.

Jauffre fit un léger signe de la tête et Aymeric repoussa brutalement Clayton qui atterrit sur les fesses.

— Ça suffit. L'entraînement est terminé, conclus Jauffre avant de s'éloigner, les écuyers les plus âgés sur les talons.

Alors que les jeunes nobles se dispersaient, Aidan aida Clayton à se relever.

— Pourquoi ? lui demanda-t-il.

Clayton lui sourit. Un sourire tellement resplendissant qu'il donnait à Aidan l'impression que rien n'était impossible.

— Parce que nous sommes amis. Je serais toujours là pour te protéger Aidan. 

Le prince et l'assassin - tome 1 : les rats [ a l'arrêt]Where stories live. Discover now