Chapitre 18

591 77 32
                                    

À cette heure tardive, la Rose Blanche était presque déserte. Trois filles alanguies comataient sur une banquette, une pipe à épices posée sur le guéridon à côté d'elle. Quelques autres buvaient un dernier verre au bar sans prêter attention aux clients trop bourrés qui avaient roulé sous la table. Bientôt, un ou deux cogneurs recrutés par Esmée viendraient faire le ménage et foutraient ces malheureux dehors, à moins qu'ils ne les traînent dans le lit d'une de ces demoiselles pour qu'au réveil, ils soient persuadés d'avoir passé une folle nuit d'amour.

Les courtisanes accueillirent Edwane avec de petits cris de joie. Celui-ci se laissa entraîner de bonnes grâces par ses admiratrices tandis que Callum enjambait l'une de ces carcasses imbibées d'alcool pour rejoindre l'escalier qui menait aux étages. Personne ne chercha à l'arrêter.

Esmée se préparait pour la nuit quand l'assassin débarqua dans sa chambre. Vêtue d'une chemise blanche toute simple, ses longs cheveux blonds détachés, elle paraissait plus jeune que d'ordinaire, presque fragile. Pourtant, elle ne sembla pas surprise de cette soudaine intrusion dans son intimité. Elle ne se retourna même pas, se contentant de son reflet dans le miroir de la coiffeuse.

— Callum. Que puis-je faire pour toi ? Il est tard, mais je peux encore demander à une de mes filles de te conduire jusqu'à sa chambre.

— Tu sais bien que ce n'est pas ce que je veux, dit-il d'une voix sourde.

— L'un de mes garçons alors.

Pour toute réponse, il grogna, arrachant un rire à Esmée. Depuis son premier meurtre, il venait la retrouver deux ou trois fois dans l'année, souvent après avoir tué. Pour relâcher la pression. Une relation purement fonctionnelle, sans amour ni réel désir. Esmée le savait et elle acceptait cet accord tacite entre eux.

Avec une lenteur exaspérante, elle se leva et s'approcha de lui. Elle effleura sa joue du bout de ses doigts fins et il serra les poings pour réfréner son envie de la soulever et de la prendre, là tout de suite, contre le mur. Il voulait oublier, chasser ses images qui tournaient en boucle dans sa tête. Mais la frustration faisait partie du jeu. Dans cette chambre, c'était Esmée qui menait la danse. Pas lui. Malgré le temps qui passait, elle restait cette femme sûre d'elle et lui ce garçon timide et maladroit. Elle seule l'avait déjà vu pleurer. Elle connaissait le gamin qui se cachait derrière le masque de l'assassin et cela lui donnait tout pouvoir sur ce dernier.

La courtisane se dressa sur la pointe des pieds pour déposer sur ses lèvres un baiser aussi léger qu'un papillon. Callum voulut l'attraper par les hanches pour l'attirer à lui, mais elle recula aussitôt, se mettant ainsi hors de sa portée.

Avec un sourire chargé de sous-entendus, elle retira sa chemise de nuit. Callum sentit son souffle s'accélérer tandis que lui revenait en mémoire le souvenir d'un autre corps, bien plus masculin celui-là, se dévoilant sous ses yeux.

À l'instar de nombreuses filles de joie, Esmée était originaire de Nouerdia, arrachée comme tant d'autres à sa terre natale et à son village en cendre par des soldats peu scrupuleux qui avait revendu l'enfant au premier trafiquant rencontré. Les tenanciers de bordels avaient largement profité de cette chair fraîche et surtout bon marché.

Sur un signe de sa part, Callum enleva son haut. Sa poitrine, ainsi dénudée, se soulevait et s'abaissait à un rythme rapide.

— Tourne-toi, je veux les voir, murmura Esmée.

Les cicatrices. Elle voulait voir ces cicatrices. Callum déglutit, mais s'exécuta. Il savait que s'il n'obéissait pas, elle n'hésiterait pas à le mettre dehors. La jeune femme effleura son dos du bout des doigts, lui arrachant un frisson. N'y tenant plus, il se retourna et l'attira à lui. Cette fois-ci, elle ne se déroba pas et leurs lèvres se rencontrèrent avec avidité. Elle enroula ses jambes autour de sa taille, et sans rompre leur baiser, il la porta jusqu'au lit. Il tenta de l'y poser, mais Esmée s'accrocha à son cou, l'entraînant avec elle. Glissant sur le côté, elle le fit basculer pour se retrouver au-dessus, sa chevelure retombant sur eux comme une pluie d'or. Elle resta un moment à le contempler, une lueur appréciatrice dans le regard avant de se pencher et de lui susurrer à l'oreille :

Le prince et l'assassin - tome 1 : les rats [ a l'arrêt]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant