Chapitre 3 - partie 2

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— Clayton Bellamont, murmura le prince en reconnaissant celui qui, bien des années plus tôt, avait été son meilleur — non, son seul — ami.

Le visage de l'assassin se durcit tandis qu'une sombre tempête naissait dans ses yeux noirs. Les mots qu'il prononça ensuite brisèrent le cœur d'Aidan.

— Clayton est mort le jour où la tête de mon père a roulé au pied du tien. Je suis Callum, maintenant. Enfermez-le dans un cachot, je m'occuperai de lui plus tard.

Deux types soulevèrent Aidan pour l'entraîner à l'extérieur. Celui-ci se laissa faire, incapable de détacher son regard de celui de Clayton, mais l'assassin se détourna comme si son sort ne l'intéressait pas le moins du monde. L'homme qui avait tué Derik et sa mère lui adressa un petit signe de la main. Son apprenti, lui, avait disparu.

Les deux hommes escortèrent Aidan à travers les couloirs humides jusqu'à une galerie où s'alignaient des cellules. Ces pièces étroites et humides, dépourvues de tout mobilier, lui rappelèrent la dernière fois où il avait vu le père de Clayton, ses grands yeux sombres, les mêmes que son fils, si calmes, et les siens qui débordaient d'eau. Ce jour-là, il n'avait pas voulu croire que cet homme puisse s'avérer coupable de trahison. Et pourtant, les preuves étaient là, accablantes. Lord Bellamont avait essayé de le faire assassiner, lui, le prince héritier. Et maintenant, son fils était devenu une ombre. Comment cela avait-il pu arriver ? Comment le gentil garçon qu'il avait connu avait-il pu se transformer en un tueur sans pitié comme celui qui l'avait privé de sa mère ?

Une forte pression dans son dos le ramena à l'instant présent. Pris par surprise, il perdit l'équilibre et finit à nouveau le nez dans la crasse pour le plus grand amusement de son persécuteur.

— Bah, alors, Votre Altesse, se moqua ce dernier, on ne tient pas debout.

Aidan rougit, mortifié, mais, avec ses mains attachées dans le dos, il était impuissant, obligé d'attendre que l'autre daigne l'aider à se relever.

Sans se presser, l'homme s'agenouilla devant le prince et l'attrapa par les cheveux pour l'obliger à le regarder. Aidan se retrouva face à son visage, qui, par bien des aspects, rappelait les rongeurs dont l'individu avait pris le nom. Ses yeux de fouine injectés de rouge le dévisageaient avec concupiscence. L'homme se passa la langue sur les lèvres, dévoilant au passage une dentition pourrie dont il manquait une bonne partie.

— C'est vrai qu'il est mignon. Regarde-le, on dirait un petit chaton apeuré. La dynastie Tilhael est tombée bien bas. J'ai vu son père se battre lors de la nuit des rois. Un vrai lion. Pas comme celui-ci. Remarque, la rumeur dit que notre bon roi ne fréquentait guère le lit de la reine. Peut-être que le gosse n'est pas de lui.

Aidan serra les poings. Il avait entendu ces rumeurs toute son enfance. Il faut dire qu'avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus, combinaison plutôt rare en Riglian, il ne ressemblait guère au roi. Quant aux penchants de son père, il était de notoriété publique qu'il ne goûtait guère la compagnie de la gent féminine. Il n'avait d'ailleurs pas cherché à se remarier après la mort de sa femme, au grand dam des seigneurs du royaume qui avaient tous essayé de lui mettre leur fille entre les bras.

En voyant l'homme saisir le couteau qui pendait à sa ceinture, Aidan émit un petit cri qui provoqua l'hilarité de ses tourmenteurs.

— N'aie pas peur, mon chaton, lui lança celui-ci. Tu as entendu notre roi, tu appartiens à Callum maintenant. Et personne ici n'est assez bête pour toucher à l'un de ses jouets sans autorisation.

Sur ces mots, il trancha les liens qui retenaient les bras d'Aidan dans son dos. Le prince frémit en sentant la lame froide effleurer sa peau, mais, juste après, la corde céda et il fut de nouveau libre de ses mouvements.

— Je te souhaite une bonne nuit, mon chaton, lui lança le Rat en se relevant. J'espère que la compagnie des rats ne te dérange pas trop. Après tout, c'est un peu chez eux ici.

Il quitta ensuite la cellule en claquant la porte derrière lui. Seul dans l'obscurité, le prince se releva et massa ses poignets dont la chair avait été entamée par la corde trop serrée. Comme pour appuyer les dire du criminel, un rat lui passa entre les jambes avant de disparaître par un trou dans le mur.

Effrayé et frigorifié, Aidan se recroquevilla dans le coin le plus éloigné de la porte, les genoux remontés contre sa poitrine pour essayer de garder le plus de chaleur possible. Il avait tellement froid qu'il se demandait s'il parviendrait un jour à se réchauffer. Son être tout entier lui paraissait gelé, jusqu'à son âme que grignotaient doucement les ténèbres qui l'entouraient.

Aussi loin qu'il se souvienne, le prince avait toujours eu peur du noir. L'assassinat de sa mère n'avait rien arrangé, et, depuis, malgré les moult tentatives de son père pour le guérir de cette phobie indigne d'un guerrier, Aidan dormait avec une bougie allumée. Bougie dont Derik s'assurait qu'elle dure toute la nuit. À cette pensée, le jeune homme sentit son cœur se serrer. Pauvre Derik, assassiné pour avoir voulu défendre son maître.

Et lui, qu'allait-il devenir ? Silus comptait-il l'utiliser contre son père ? Dans quel but ? Et surtout, pourquoi le garder en vie ? En tant qu'unique héritier, sa mort aurait déstabilisé l'équilibre déjà vacillant de la couronne. Le roi n'était plus tout jeune et sa santé déclinait. Les vautours qui constituaient sa cour l'avaient bien remarqué. Le prince avait beau ne pas se mêler au reste de la noblesse, il n'était ni aveugle ni sourd. Il les avait entendu comploter quand son père s'absentait. S'ils ne parlaient pas encore de révolte, il ne faisait aucun doute qu'ils commençaient à se lasser de ce souverain bien trop pacifiste à leur goût. L'annexion récente de Falli et de Yavetsheskia par l'Empire sans que Riglian intervienne, que ce soit pour défendre ses voisins ou récupérer une part du gâteau, avait constitué pour beaucoup un point de non-retour, et certains commençaient à remettre en question sa légitimité à les gouverner. Après tout, il était le premier de sa dynastie à monter sur le trône. D'autres familles étaient tout aussi honorables que la sienne. Et le mépris que ces hommes ressentaient pour Aidan n'aidait pas son père à asseoir son autorité. Il fallait vraiment que son sang soit faible pour engendrer un fils comme lui. L'avait-on enlevé pour forcer le roi à abdiquer ? Non, cela n'avait aucun sens. Se pourrait-il alors qu'il s'agisse d'une simple question de vengeance comme il l'avait dit ? Que ce monstre soit assez proche de Clayton pour épargner la victime d'un meurtre commandité — Car, Aidan n'en doutait pas, c'était les vassaux de son père qui étaient derrière tout ça — , Pire, était-il possible que Clayton puisse lui vouloir du mal ?

Une larme coula sur sa joue, puis une autre et encore une autre, et il se retrouva à pleurer comme un enfant. Sa mère lui manquait, Derik lui manquait. Et Clayton aussi. Il avait cru que leurs retrouvailles se passeraient autrement, que son ami le prendrait dans les bras et lui dirait que tout allait bien, qu'il était de retour et qu'il ne partirait plus jamais. Qu'il pouvait être naïf ! Le Clayton qu'il avait vu ce soir n'était plus celui qu'il avait connu. D'une certaine façon, c'était un autre être cher qu'il avait perdu cette nuit et dont il devait faire le deuil.




Le prince et l'assassin - tome 1 : les rats [ a l'arrêt]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant