Chapitre 4

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Le lendemain je trainai au lit jusque près de midi. Je ne pouvais pas dire que j'avais bien dormi. J'étais moulu après mon affrontement de la veille avec le fey, j'avais hérité d'une magnifique collection d'hématomes de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel autour du cou et sur mes flancs, j'avais du mal à déglutir et mes muscles concourraient pour savoir lequel était le plus endolori. Plus inquiétant, ma cheville gauche avait doublé de volume. Je n'arrivais plus à me souvenir d'à quel moment de la nuit je me l'étais foulée. Soit lors d'une de mes rencontres avec le mur ou le sol, soit quand j'avais dégringolé à la hâte le long de la corde pour fuir la grande maison. J'avais même laissé mes clous fixés au murs de pierre, ce qu'avec le recul je regrettais, mais j'avais eu trop peur et avais été trop impatient de m'échapper.

En prime, les évènements de la veille avaient tourné et retourné dans ma tête pendant que je cherchais le sommeil. La peur que j'avais éprouvé revenait par vague, tout comme l'image du grand alpha ensanglanté et mourant. Je ne savais pourquoi je restais focalisé sur son état et pourquoi je me souciais de s'il était encore en vie. C'était loin d'être la première fois que j'assistais à une confrontation mortelle et j'avais eu plus que mon compte d'images de tortures et de souffrance mais allez comprendre, je me sentais plus touché qu'à l'accoutumé. Peut-être parce que, même s'il ne m'aurait montré aucune indulgence s'il m'avait chopé avant le Sidhe, il m'avait délivré de l'attaque du fey. Ou peut-être parce qu'à force d'avoir espionné tous ses déplacements durant des jours j'avais l'impression de le connaitre un peu. Ou peut-être tout simplement parce qu'il avait un joli petit cul, allez savoir, mais je me sentais étrangement concerné par sa survie. En plus de cette inquiétude irrationnelle, une autre source d'angoisse, bien plus justifiée cette fois, me tenaillait. Moi qui me targuais de ma capacité à effectuer mes vols tout en restant discret et invisible, pour le coup, c'était bien râpé. Le Sidhe, tout comme le Loup, avait vu mon visage. J'étais certain de n'avoir laissé ni empreinte, ni odeur, ni cheveux qui auraient pu permettre à un mage de retrouver ma trace, mais si l'un ou l'autre posait des questions au bon endroit et aux bonnes personnes, je courrais le risque de me faire démasquer. Mon niveau de paranoïa était déjà élevé en temps habituel, là il crevait carrément le plafond. Peut-être qu'après m'être débarrassé de cette foutue carte, je partirais quelques jours de Portal pour prendre l'air. Mon ami mercenaire Jonas avait une petite cabane au nord de la Frontière, vers les Appalaches, et il avait déjà proposé de me la prêter.

J'étais pressé de me débarrasser de mon trophée et de récupérer mon pognon, mais ma mobilité était limitée, trop pour envisager sereinement de me taper les vingt minutes de marche jusqu'à la boutique d'Asos. Encore moins si je devais me la jouer furtif et prêt à déguerpir à tout instant. Je décidai d'attendre le lendemain. J'étais encore dans les temps, et pour être franc je ressentais le besoin de récupérer après le cauchemar de la veille.

J'aurais pu sortir de chez moi pour alpaguer un des gamins qui trainaient dans le quartier et lui confier un mot pour le fey, accompagné d'un billet d'un dollar et la promesse d'un second s'il me ramenait la réponse dans les meilleurs délais, mais il aurait été possible de le tracer jusqu'à mon domicile, du coup je préférais m'abstenir. Les téléphones cellulaires dont j'avais de vagues réminiscences de ma petite enfance n'étaient qu'un vieux souvenir à la Frontière, dépendants de satellites, d'antennes 5G et de beaucoup trop d'électronique pour être viables dans un environnement aussi impacté par la magie. Une des entreprise de techno-magie, spécialisée en communications, avait déployé un réseau de téléphones fixes mais ils coutaient la peau des couilles et leur fonctionnement restait aléatoire. Je ne connaissais personne qui en avait acquis un. A Portal, les messagers privés restaient le moyen le plus rapide et le plus fiable pour faire passer des messages, quand on n'était pas en capacité de se déplacer, tout simplement. Dans la mesure où j'étais encore dans les délais, Asos pouvait bien attendre vingt-quatre heures de plus pour le plaisir de me voir en personne.

Frontière tome 1-L'éveil du TechnomageWhere stories live. Discover now