Frontière tome 1-L'éveil du Technomage

Chapitre 22

- Haïkooooo!

Je m'extirpais de la jeep avec difficulté, un peu ankylosé par les heures de route et ma succession de siestes, et trébuchais sur les pavés de pierre branlants du vieux Portal lorsqu'une masse d'os saillants agités d'une fougue juvénile et maladroite me tomba sur le râble. Je reculai d'un pas pour me stabiliser et sentis un nez froid se fourrer dans mon cou et des bras minces mais solides m'enlacer. D'une grande inspiration, le jeune Loup se gorgea de mon odeur en se frottant contre ma mâchoire. Je vacillai légèrement sous l'impact avant de reprendre mon équilibre. Léo était encore jeune et dégingandé, d'après les critères métas, mais il me dépassait déjà de quelques centimètres et son enthousiasme était un peu brutal pour l'humain que je demeurais.

- Je suis content de te voir sain et sauf! Dracul va très bien, je m'en suis assuré, mais tu nous as manqué!

Légèrement gêné, je tapotai maladroitement le dos du jeune méta. Jamais je ne l'admettrai à haute, mais je devais avouer être un peu content et flatté de son ravissement à me retrouver.

- Tout va très bien, Léo. Je suis content d'être rentré moi aussi.

- Vous avez rempli votre mission? Vous avez gagné?

Un raclement de gorge sec retentit derrière nous et le jeune loup sursauta et se détacha avec vivacité. Dans la lueur ténue des lampadaires à gaz, Lucius le toisait, un sourcil légèrement haussé et la lippe sévère. Léo baissa les yeux et se mit à rougir abominablement.

- Alpha.

- Léo. Puis-je supposer que tu es heureux de me retrouver également?

Léo piqua un nouveau fard et regarda le sol, honteux. Derrière lui, la silhouette imposante d'Alexander se découpa dans le portail ouvert et en soupirant, il décocha une taloche au jeune fou, le réprimandant au passage.

- Léo, tu oublies tes bonnes manières. Salue correctement notre Alpha s'il te plait.

Sans attendre que Léo acquiesce avec remord, et montrant l'exemple, Alexander s'approcha de Lucius. Ils échangèrent une étreinte profonde, frottant la peau nue de leur cou l'une contre l'autre, ravivant leur odeur commune et réaffirmant leur lien de meute. Les métas avaient besoin du contact physique comme les fleurs de la pluie et Saturnin de la gnole et toute leur société tournait autour de ces échanges chaleureux et d'apparence intime. La mine piteuse, Léo suivit et se laissa enlacer par son Alpha à son tour, manifestant sa soumission et son bonheur de retrouver son chef par de petits jappements de chiot. Voyager seul n'était pas chose habituelle pour un Loup non solitaire, surtout un meneur de meute, et je soupçonnais que ses bêtas avaient dû profondément s'inquiéter de le laisser hors de leur vue. Derrière moi, Jonas paraissait blasé de ces démonstration collectives et je l'entendis geindre avec exaspération.

- D'abord un Alpha qui te colle au cul, puis un bébé Loup qui te prend pour son doudou... Tu pues le clébard, Haïko. Tu as décidé de courir en meute, maintenant?

Je lui retournai un coup de coude vengeur.

- Je cours seul, mon ami, et tu le sais très bien. Et les Loups ne puent pas. Pas plus que les félins, en tous cas.

J'avisai un visage écœuré qui nous contemplait à l'autre bout du jardin et nuançai mon propos en la désignant du pouce.

- Enfin, sauf si tu arrives à renifler l'aigreur et la réprobation. Auquel cas ouais, certains auraient bien besoin d'une bonne douche.

Devant la porte d'entrée, Isabeau semblait en effet tout aussi enthousiaste de mon retour que je l'avais anticipé. Après avoir accueilli son cousin et alpha avec joie, elle me dédia un regard méprisant, jeta un œil horrifié sur la Panthère qui me suivait et c'est avec un soupir douloureux de louve martyre qu'elle escorta Jonas jusqu'à la chambre qui lui était attribuée dans la vaste demeure. Nous étions épuisés et affamés et je n'étais pas d'humeur à échanger des sarcasmes avec la princesse des glaces. Je choisis plutôt de me jeter avec un manque de retenu que Namiko aurait jugé déplorable sur la marmite de ragoût qu'Alex avait préparé. Je me remplis la panse avec satisfaction pendant que les Loups restés à Portal faisaient leur rapport à Lucius. Les nouvelles n'étaient pas bonnes et lorsque le dernier morceau de bœuf savoureux et tendre glissa dans mon estomac, je relevai la tête et conclus avec dégoût.