Chapitre 32

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A mon réveil, j'étais seul dans le lit et les draps à ma gauche étaient froids. Si Lucius m'avait rejoint dans la nuit, il l'avait fait sans me réveiller et n'avait pas beaucoup dormi. Même Dracul m'avait abandonné, ne laissant comme traces de son passage que quelques poils soyeux et noirs accrochés à l'oreiller. Moi qui avait besoin d'un gros câlin, j'allais devoir être adulte et m'en passer. Je n'avais pas pensé à fermer les volets à notre retour au petit matin et la lumière grisâtre d'automne entrait à flot dans la chambre, augmentant le mal de tête qui me transperçait les globes oculaires. Le jour paraissait déjà bien avancé, comme me le confirma mon estomac qui, indifférent à ma détresse autant physique que morale, me fit savoir avec vigueur que j'avais dépensé bien trop de calories la nuit précédente, et qu'il me fallait maintenant recouvrer. J'étais moulu et je me sentais misérable. La petite parcelle de bonheur d'avoir retrouvé Jordan sain et sauf ne faisait rien pour compenser l'horreur d'avoir perdu et Sarah, et Alexander. La vision de son corps inerte et du désespoir de Lucius me tordait la poitrine et celle de Sarah, prostré dans le bras du Sidhe, me donnait envie de hurler. La perspective de devoir me lever et affronter une réalité d'où l'un et l'autre avaient disparu était atroce et palissait devant celle de me noyer à jamais dans les coussins moelleux qui m'entouraient. Mais j'avais encore des responsabilités à assumer et je ne pouvais me permettre le luxe de me prélasser. Et si je laissais quelques larmes couler dans les traversins, il ne s'agissait que d'une faiblesse momentanée.

En gémissant, tellement mes muscles me faisaient souffrir, je réussis à me lever, aussi agile qu'un vieillard. La torture magique que j'avais subi avait laissé des traces dans mon organisme et j'étais plus courbatu qu'un gigolo après une partouze. Je me trainai jusqu'à la salle de bain, espérant qu'une douche m'aiderait à me sentir un peu plus humain, et grimaçai devant mon reflet. J'avais vraiment une tronche de déterré. Ma peau, naturellement pâle, était carrément blême, d'énormes cernes violets me mangeaient les joues et je semblais émacié. Mes mains tremblaient, comme au lendemain d'une horrible gueule de bois et j'avais l'air d'un déchet. Le fils spirituel de Saturnin, quoi.

L'eau tiède me fit du bien et après avoir enfilé un pantalon propre en gémissant, mes fringues de la veille étant tout juste bonnes à jeter, je réussis à descendre lentement les escaliers, accrochés à la rampe et un peu vacillant mais au moins capable d'avancer. Les odeurs de nourriture me guidèrent jusqu'à la grande cuisine, devenue au fil des jours le repaire de la meute et le lieu où tout se passait, et j'en franchi le seuil.

Léo était au fourneau et les effluves de grillade me firent saliver. Le jeune Loup se retourna pour me regarder, une spatule à la main, et je distinguai une lueur de soulagement dans ses yeux fatigués en me voyant réveillé. Lui aussi paraissait exténué encore que, dans son cas, je soupçonnais plus les effets délétères du deuil et du chagrin que l'épuisement du combat. Nous échangeâmes un sourire incertains et il me désigna la table où une assiette m'attendait. Deux silhouettes graciles étaient occupées à dévorer des montagnes de victuailles et lorsque je passai le seuil, la plus élancée des deux se leva précipitamment, faisant vaciller sa chaise en bois sur le carrelage, et se jeta sur moi dans un cri aigu de soulagement.

- Haiko! Tu es réveillé!

Je soufflai sous le choc et la multitude de douleurs qu'il réveillait dans ma pauvre carcasse éreintée mais malgré mes courbatures, je réussis à enlacer maladroitement le gamin maigrichon qui se pressait contre moi en larmoyant.

- Ca va Jordan? Comment te sens-tu?

Il avait enfoui son visage dans mon cou et tremblotait et je grimaçai intérieurement en sentant l'humidité qu'il y déposait. Je lui tapotai le dos avec autant de gentillesse qu'il m'était possible et attendis que l'orage passe.

Frontière tome 1-L'éveil du TechnomageWhere stories live. Discover now