Chapitre 33

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Nous faisions vraiment une drôle de troupe. Si la première fois que j'étais parti rencontrer Caïus Devon j'avais pensé y aller seul, même si Lucius s'était finalement imposé, c'est cette fois escorté de deux Loups, une Panthère encore faible mais déterminée et un mage dépenaillé que je m'enfonçais au cœur du quartier mal famé qui abritait le territoire des Fléaux. Jordan avait voulu nous accompagner mais j'avais hurlé, Lucius avait grogné et il était resté à la maison, sous la protection de Léo. Dans la mesure où j'étais enfin en capacité de payer la rançon que ses bêtises avaient coûté, autant ne pas agiter le gamin sous le nez du chef de gang, au risque de l'énerver à nouveau. Je le préférais à la maison des Loups et à l'abri. J'aurais souhaité que Kristen fasse de même et demeure en sécurité mais elle s'était éclipsée discrètement en milieu de matinée, profitant que j'assistais Jonas qui était sorti du lit mais galérait encore un peu à se déplacer. Elle était libre d'aller et venir, bien sûr, mais son départ avait mis Jordan et Léo dans tous leurs états. J'espérais que nous pourrions l'apercevoir au QG des Fléaux mais aussi, et surtout, que son absence injustifiée d'une longue nuit ne lui vaudrait pas de douloureuses représailles. J'avais encore en tête son visage tuméfié de la veille et je savais que son souteneur risquait de lui reprocher les sommes non gagnées à coup de poings. Je grinçai des dents à cette pensée. J'étais plus déterminé que jamais à la sortir de là. J'avais tout juste assez de pognon pour libérer Jordan des griffes de Caïus mais j'avais bien l'intention de négocier la liberté de la gamine, quitte à devoir de nouveau m'endetter auprès de ce salaud suffisant.

Le quartier ne s'était pas amélioré en quelques jours et des regards fuyants ou dangereux nous suivaient au fur et à mesure que nous arpentions les ruelles défoncées. Isabeau faisait de grandes enjambées, complètement remise de ce que je pouvais observer, et fusillait des yeux les bâtiments délabrés recouverts de Kudzu que nous étions contraints de contourner.

Elle finit par cracher en ma direction :

- De la saleté et des brigands? Plus je fréquente cette ville et plus je trouve que vous êtes décidément parfaitement en harmonie.

La provocation était grossière mais étrangement, elle me fit plutôt plaisir. La Louve avait été gravement blessée, dans sa chair et dans son âme, et la voir retrouver sa hargne habituelle avait un côté rassurant. Je lui retournai un sourire carnassier et susurrai :

- Tu vas adorer Caïus Devon, ma belle. Il est à peu près aussi agréable que toi.

Je jouai des sourcils.

- Tu pourrai d'ailleurs solliciter un emploi. Je suis certain que son gang et lui sont à court de salopes sans cœur et avec plus de biceps que de compassion pour les aider gérer leur business. Tu as apporté un CV ?

Elle rugit en ma direction et son visage régulier se déforma. Elle amorçait un geste dans ma direction mais Lucius coupa son élan d'un ton sec.

- On arrive. Tâchez de vous tenir correctement tous les deux. Haiko, je te serais reconnaissant de tenir ta langue.

Il plissa des yeux dans ma direction :

- Qu'il s'agisse d'Isabeau comme de Caïus, d'ailleurs. Et toi, Isa, je te serai grée d'arrêter de le provoquer.

Elle tordit les lèvres et il secoua la tête avec dépit. Je l'entendis marmonner entre ses dents, provoquant les rires de Jonas aux oreilles fines de félin et de Saturnin, qui écoutait de près sans se cacher.

- Ils sont pires que des gosses, je vous jure. J'ai l'impression de devoir gérer une bande de louveteaux mal élevés.

J'allais protester hautement et demander à Lucius à quel moment il avait été désigné chef de notre petite troupe, d'autant qu'on était dans ma ville pour discuter de mes affaires avec mon chef de gang détesté, mais un sifflement sourd retentit dans l'air frais, annonçant notre entrée sur le territoire des Fléaux. Je ravalai mes mots. Nous ralentiment et tout le monde se tint en alerte alors qu'une sentinelle bardée d'armes nous bloquait le passage. Les métas se redressèrent instinctivement, adoptant des postures plus ou moins agressives, et je perçus distinctement le mouvement de recul de la femme bardée de muscles et d'armes qui toisait notre groupe hétéroclite. Je n'avais rien d'impressionnant et pour qui n'avait pas la possibilité de voir au travers des apparences, Saturnin avait plus des airs de serpillère que de mage surpuissant. En revanche, Lucius et Isabeau en imposaient, même sous leurs formes humaines, et malgré ses blessures encore sensibles, Jonas dégageait une aura létale qui ne pouvait tromper quelqu'un d'aussi habituée à la violence que notre charmante hôtesse l'était. Elle nous pointa de son fusil automatique. Je retins un mouvement de recul et elle cracha :

Frontière tome 1-L'éveil du TechnomageWhere stories live. Discover now