Chapitre 20

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Les paupières étroitement closes pour éviter que la poussière abrasive n'abîme mes cornées, je crachouillai tant bien que mal pour me débarrasser de la poudre de plâtre qui me bloquait la trachée. Mes alliés n'avaient pas fait dans la demi-mesure et à entendre les craquements sourds de la façade en cours d'effondrement, le trou qu'ils avaient creusés serait assez large pour deux métamorphes, une mage, deux humains, un fey ainsi que tout un troupeau d'éléphant. Je ne tentai pas de me relever immédiatement. D'une, j'étais assez occupé à compter mes abattis et de deux, je préférais ne pas tenter le sort si un des hommes armés qui m'avaient coincé était encore en état de se battre. Mes tympans bourdonnaient et je ne pouvais m'y fier pour évaluer la situation avec fiabilité. Un cri sourd de terreur retentit derrière moi, suffisamment puissant pour passer le barrage de ma surdité temporaire, et fut suivi d'un grognement sourd. Le sol vibra et deux mains fermes se posèrent sur mon dos, le tâtant et cherchant à me déplier avec délicatesse.

- Haiko? Merde Haiko, tu vas bien?

J'avais l'impression de me tenir sous une cascade et la voix me parut déformée et indistincte. Je secouai la tête pour me débarrasser de la fréquence sonore qui s'attardait dans mes oreilles et je levai des yeux larmoyants sur la masse chaude et imposante vers laquelle j'étais soulevé. Je m'attendais à tomber sur le visage amical et familier de Jonas mais à ma grande surprise, ce furent les traits rudes et inquiets de Lucius qui apparurent dans mon champ de vision trouble. Il me dégagea des gravats, heureusement assez légers, qui me recouvraient et m'attira contre sa poitrine, dans un bercement précautionneux et inattendu par sa douceur. Il posa sa main sur ma joue et répéta d'un ton tendu :

- Haiko? Est-ce que tu m'entends? Réponds-moi s'il te plaît.

J'ouvrais la bouche pour articuler je ne sais quoi lorsque mon corps fut bousculé violemment. Je me roulai à nouveau en boule instinctivement, tout contre son torse et protégé par le dos large du Loup.

- Putain Haiko! Lâche-le immédiatement, Loup!

Un grondement féroce fit vibrer les poumons sur lesquels j'étais appuyé et je cillai frénétiquement pour comprendre ce qui se passait. Au dessus de Lucius, accroupi dans une posture défensive autour de moi, Jonas avait le visage rempli de hargne et d'angoisse et tendait les bras en ma direction. Mais de toute évidence, l'alpha n'était pas d'accord avec ce projet et il grognait furieusement sur mon ami tout en me maintenant d'une main de fer. Ses muscles étaient tendus à craquer et ses crocs apparaissaient dans sa bouche humaine. Mon esprit vif, momentanément secoué, reprit de sa vigueur et je finis par comprendre la situation, parfaitement ridicule mais compréhensible lorsque l'on avait côtoyé des métas. Ces deux imbéciles de poilus n'avaient toujours pas réglé leurs petits soucis de dominance et continuaient de se disputer leur préséance à mon égard. Me croyant blessés, ils se chamaillaient la responsabilité de mon état. Débile débile et débile, encore.

Mon état général me paraissait bon et mes sens recouvraient peu à peu leurs capacités. Je déglutis pour chasser le goût terreux de la peur et du plâtre et ignorant leurs protestations conjointes, je me redressai avec prudence. Une fois sur mes pieds, je tentai d'écarter les mains du Loup, qui cherchait à me retenir et dardait toujours un regard noir sur mon ami. Mais Lucius résista fermement à mes efforts et après un instant d'hésitation, je m'appuyai sur lui pour me stabiliser sur mes jambes un peu molles, tout en protestant par pur principe.

- Je vais très bien, lâchez-moi la grappe et arrêtez de vous prendre la tête.

Ma voix était rauque de la crasse avalée et je me raclai la gorge avant de cracher sur le sol, faisant la moue devant la couleur noirâtre de ma salive. Je n'avais qu'à croiser les doigts pour que les saloperies respirées ne soient pas dangereuses pour les bronches.

Frontière tome 1-L'éveil du TechnomageOn viuen les histories. Descobreix ara