Chapitre 23

477 79 7
                                    

La porte de la chambre s'ouvrit dans un chuintement discret qui suffit à faire tressaillir la masse chaude contre laquelle je me pressais. Je soulevai une paupière embrumée. Il semblait être encore très tôt, d'après la lumière tenue qui filtrait entre les rideaux épais, et mon corps fourbu me signala avec mauvaise grâce qu'il aurait heureusement bénéficié de quelques heures de sommeil supplémentaires. Un raclement de gorge gêné résonna dans le silence ouaté et un grognement sourd et mécontent lui répondit, provoquant un couinement gêné de la part de notre importun. Je baillai lourdement et gémis. Lucius était aussi peu du matin que moi, apparemment.

- Désolé Alpha...

La voix de Léo tremblait et le jeune homme semblait osciller entre horreur et contrition devant notre position compromettante. Mais il n'avait pas non plus l'air très surpris. Evidemment, on ne pouvait rien cacher à une demeure remplie de Métas et si les ronflements du Loup à mes côtés n'avaient pas informé la maisonnée de sa présence dans mon lit, nos odeurs mêlées aux alentours de la chambre l'auraient fait, sans aucune dissimulation possible. Par conséquent, tout le monde savait que nous avions pioncé ensemble. Je geignis intérieurement en songeant à la situation dans laquelle je m'étais fourré et qui me donnais sérieusement envie de rester couché. Mais le destin paraissait avoir d'autres projets pour moi, dont Léo était le porteur malgré lui.

- Euh. Il y a un visiteur pour vous, bafouilla le jeune méta en contemplant ses pieds. Enfin, un visiteur pour Haiko.

Je me redressai sur l'oreiller et secouai la tête pour évacuer la torpeur confortable qui menaçait de s'y attarder.

- Un visiteur pour moi? En bas?

- Mmh oui. C'est le mage du bar. Celui qui...

Léo baissa la voix jusqu'au murmure.

- Le mage de combat, ton ami du bar, là.

- Mais qu'est-ce que Saturnin vient foutre ici?

Soudainement alerte, je repoussai du bras l'épaule velue du loup sous lequel j'étais terré, récoltant un grondement vexé, et entreprit de m'extirper du lit en me battant contre les draps.

- Il vous a dit pourquoi?

- Non. Juste qu'il voulait te voir immédiatement.

Je me remis sur mes jambes, un peu courbatu et chancelant, et croisai le regard du jeune Loup avant qu'il ne le baisse à nouveau vers le parquet. Ses pommettes étaient rosies et ses yeux fuyants et il semblait ne pas savoir où se mettre. Je compatissais. Pour être franc, je me sentais un peu mal à l'aise, également. Derrière moi, le grand et puissant animal au pelage doux qui avait partagé ma couche toute la nuit, me dorlotant dans sa chaleur de fournaise et soufflant sur ma nuque, s'étira dans les draps emmêlés. A cet instant, il ressemblait plus à une peluche géante qu'à l'Alpha de nos disputes incessantes mais les faits étaient là, dans toute leur énormité. J'avais embrassé Lucius. J'avais dormi avec lui et maintenant que le jour était là, je ne savais plus trop quoi faire de cette information. Les évènements de la veille me paraissaient lointains, presque étrangers au filtre de la lueur de l'aube et j'hésitais entre arborer un sourire béat et me coller des claques pour me punir de ma stupidité.

En soit je n'avais rien fait de mal, je le savais. Déjà, parce que nous n'avions rien fait. Et de deux, parce que même si je décidais de me taper une meute complète, de l'alpha au métamorphe le plus soumis en passant par tous les membres entre les deux, rien ne m'en empêchait. J'étais célibataire et libre de m'amuser comme je le souhaitais. Je n'avais jamais eu honte de ma sexualité décomplexée et je n'avais pas l'intention de commencer. Mais d'un autre coté, je n'avais jamais eu à en justifier devant des métas fouineurs et curieux de savoir ce que je foutais avec leur chef vénéré. Je soupirai en enfilant un tee-shirt en vitesse, sans tenir compte ni du grand loup qui sautait du lit et se dirigeait vers la salle de bain, grognant sur Léo au passage, ni des couinements contrits de ce dernier. En enfilant mes chaussures, je pris finalement la décision, mature et sage, de ne rien faire du tout. J'avais d'autres priorités, bordel. Je n'avais de comptes à rendre à personne et si la meute avait un commentaire à faire sur la nuit passée, Lucius n'aurait qu'à gérer. Après tout, il s'agissait de ses loups à lui. Une fois vaguement décent et chaussé, je relevai la tête avec décision, prêt à faire comme si de rien n'était.

Frontière tome 1-L'éveil du TechnomageWhere stories live. Discover now