Chapitre 34

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J'attendis sagement que nous soyons sortis de la zone où patrouillaient les hommes de Caius avant de rattraper les grands enjambées de Lucius pour me porter à sa hauteur. Il me regarda arriver sans broncher, avec seulement un léger rictus indiquant qu'il me voyait arriver à dix bornes. Ce qui finit d'ailleurs de m'exaspérer. Sans lui donner la satisfaction de devoir ralentir pour rester à ma portée, dédaignant l'avantage que lui conférait sa stature plus haute que la mienne, je pressai le pas et sifflai entre mes dents.

- Je peux savoir ce qui t'as pris de proposer une association à ce connard de Caïus? Tu as pété un plomb?

Il secoua doucement la tête.

- Je me doutais que tu ne le prendrais pas bien...

- Ben en même temps c'était un peu évident, merde! Ce salaud a menacé toute ma famille, il met des enfants sur le trottoir! Je pensais que tu lui cracherais à la gueule. Au lieu de ça, toi, tu lui proposes un pont d'or à tes côtés.

J'avais élevé la voix, furax, et je distinguai du coin de l'œil que le reste de la troupe ralentissait imperceptiblement, s'écartant de fait de notre discussion animée. Je me retournai pour fusiller cette bande de trouillards des yeux mais Saturnin m'adressa un sourire amusé, de toutes ses dents jaunes, alors que Jonas et Isabeau détournaient carrément les yeux pour admirer le paysage. Ha ouais, sympa la solidarité.

Lucius renifla avec lassitude et s'arrêta carrément pour me faire face. Il me surplombait d'une bonne tête mais je ne distinguais, cette fois-ci, aucune tentative de me faire plier ou me dominer dans sa posture. Son regard était doux et implorant et il me dévisageait avec honnêteté, ouvert et vulnérable. J'en fus troublé et trébuchai sur mes pieds avant de stopper également. Nous entrions dans une zone moins mal famée que celle ou Caïus avait établi ses pénates et le trafic piéton était dense. Les marchands ambulants de fruits ou de fleurs nous apostrophaient en ventant les mérites et la fraicheur de leurs produits. Les trottoirs étaient encombrés de petits réchauds et grills improvisés et l'air charriait une odeur de grillades et d'épices curry alléchante. Mon estomac se creusa un peu et gargouilla. Le petit-déjeuner n'était pas très loin pourtant j'avais une sacrée dalle. Je ne mangeais pas autant en temps ordinaire mais ces derniers jours j'avais pompé sur ma magie à outrance et mon corps avait besoin de reconstituer quelques réserves. Sans prêter attention à la cohue environnante, Lucius se tourna vers moi. Il porta sa main à ma joue et je dus mobiliser toute ma volonté pour ne pas fondre dans cette caresse malgré mon agacement à son égard. J'étais fâché, c'était là tout ce que je devais me rappeler.

- Je m'en vais dans à peine une heure ou deux, finit-il par articuler sombrement après m'avoir longuement regardé.

Je fronçai les sourcils.

- Je suis au courant. Tu dois ramener le corps d'Alexander à sa famille, j'ai compris.

- Oui, c'est mon devoir. Et c'était mon ami. Sans compter que Carlos attend mon rapport au sujet des feys et que je dois escorter Zachary dans les terres Blanches pour réfléchir aux modalités d'exploitation de la mine. Mais c'est là ce que je dois faire, pas ce que j'ai envie. Et tu ne peux imaginer à quel point il m'est difficile de ne pas te jeter sur mon épaule pour t'emmener avec moi.

Je retins un hoquet surpris et offusqué.

- Je n'ai aucune envie de quitter Portal! Et tu as dit que tu reviendrais!

- Oui, mais...

Il fit une moue un peu perdue et très déplacée sur ses traits rudes et habituellement si arrogants.

- Mon instinct et moi sommes... en désaccord, si je puis dire, sur cette question. Je suis un Loup alpha. Je sais que tu ne comprends pas et que tu ne peux pas savoir ce que ça implique. Mais disons que maniaque du contrôle est un délicat euphémisme à mon sujet. Partir en te laissant derrière moi, sans aucun membre de la meute pour te protéger, sans pouvoir garder un œil sur toi...

Frontière tome 1-L'éveil du TechnomageWhere stories live. Discover now