Frontière tome 1-L'éveil du Technomage

Chapitre 12

Le repaire du gangster était à peu près comme je l'avais imaginé. Après avoir été baladé dans un dédale de ruelles poisseuses et puantes, nous pénétrâmes dans un genre d'entrepôt dont je notai d'un seul coup d'œil qu'il était recouvert de lourdes protections magiques, qui luisaient doucement. Je ne pouvais pas voir, sans y regarder de plus près, les alarmes et pièges électroniques qui devaient les compléter mais il était clair que Caius Devon savait s'entourer de technomages compétents. Derrière moi, Lucius me suivait de si près que je sentais son souffle chaud sur ma nuque à chaque ralentissement de mes pas. Je n'étais pas au clair de ce que je ressentais de sa présence. Une part de moi était offusquée qu'il suppose que j'avais besoin de sa protection. Une autre était simplement décontenancée puisqu'après tant d'années à la jouer solo, je n'étais pas du tout préparé à bosser en équipe. Enfin, la dernière, que je tachais d'étouffer impitoyablement, était juste contente et rassurée qu'il soit à mes côtés. Je ne devais pas m'y habituer, nous n'étions que des alliés de circonstances. Avec un peu de chance, d'ici quelques jours, notre association ne serait plus qu'un souvenir et tant pis si avoir l'alpha pour assurer mes arrières créait au creux de mon estomac une sensation de chaleur et d'apaisement inédite, sur laquelle je préférais ne pas trop m'attarder.

La salle du trône, si on pouvait oser l'analogie pour un enfoiré aussi retord que Caius, était sombre, située au fond du bâtiment et uniquement éclairée par de hautes lucarnes couvertes de grilles. Idéal sur le plan de la sécurité, mais franchement glauque. Le visage neutre, l'homme nous regardait approcher, entouré d'une dizaine de gardes du corps et de ce que je supposais être une partie des membres du gang. Je tachais de rester impassible alors qu'intérieurement, je bouillais en constatant à quel point les humains présents étaient jeunes : des adolescents, garçons et filles, certains à peine sortis de l'enfance. Portal n'était pas tendre pour sa jeunesse et sans pouvoirs suffisamment puissants pour survivre seul ou être admis sous la protection des mages et intégrés à leur école, les orphelins et autres gamins sans foyer étaient souvent réduits à la mendicité ou la prostitution. En l'absence d'un gang en guise de pseudo protection, l'espérance de vie devenait alors brève. Portal était remplie de prédateurs, pas tous humains, et la lutte pour la survie était féroce dans les quartiers pauvres. Les organisations comme celle de Caius y avaient l'embarras du choix pour recruter la chair à canon nécessaire à leurs luttes de territoires incessantes. Les maisons comme celle de Maniko étaient l'exception et non la règle et je savais ma chance d'avoir été repéré par Jonas et conduit chez ma mère adoptive avant de sombrer dans la dreamy et vendre mon cul, comme la plupart des gamins présents. J'en étais d'autant plus agacé par Jordan qui avait eu l'opportunité de faire un autre choix et s'était de lui-même livré à ces enfoirés.

Caius lui-même n'avait rien de remarquable. Homme blanc de taille moyenne, dans la force de l'âge, à la peau marqué par des restes d'acné et aux cheveux ternes et bien coiffés, il ressemblait bien plus à un gratte-papier du conseil des Guildes qu'à un trafiquant et gangster impitoyable. Seuls ses yeux révélaient son âme. Ils étaient d'une froideur de glace, sans passion et sans envie, les yeux d'un homme prêt à tout et sans aucun scrupule et lorsqu'ils se fixèrent sur moi, je ne pus empêcher un léger frisson de me parcourir l'échine. Dans mon dos, Lucius se rapprocha, jusqu'à ce que je sente sa chaleur corporelle, plus élevée que la mienne, atteindre ma peau à travers mon sweat. Cette sensation me rasséréna un peu. Si nous devions en venir aux mains, j'avais un allié de poids avec moi.

- Haiko c'est bien ça ? Ravi de te rencontrer enfin, j'ai beaucoup entendu parler de toi et en les termes les plus flatteurs.

- Et tu es donc Caius. Je ne suis pas certain d'être ravi en revanche. Pour tout te dire, j'aurai préféré que nos chemins n'aient pas besoin de se croiser.