Chapitre 29

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Lors de mon arrivée à Portal, adolescent terrorisé et affamé, fuyant son passé et à la recherche d'un avenir incertain, j'avais rapidement réalisé que si elle était un havre, Portal ne serait pas le foyer parfait que j'avais espéré. Dès le premier instant où j'avais appris son existence, j'avais rêvé d'y trouver un sanctuaire, certes, mais aussi des pairs, des semblables, des gens qui me ressembleraient. Mais dès que j'avais posé le pied sur les pavés des faubourgs de la cité, émergeant, le cœur battant d'espoir, du no mans land de la Frontière que j'arpentais depuis de longues journées, j'avais compris que ce ne serait pas le cas. Portal serait mon refuge, oui, mais j'y resterait à part. Et j'y trouverai la sécurité seulement si j'étais capable de m'y fondre, de dissimuler mon histoire et de ne jamais, jamais laisser paraitre celui que j'étais. De ne jamais laisser voir à quel point ma magie et moi étions différents.

Cette réalisation avait été difficile à avaler. A l'époque, et à l'exception du clairvoyant qui m'avait déniché, je n'avais jamais rencontré d'adultes capables de se servir de magie. Là où j'avais grandi, il n'y avait ni mages, ni feys, ni chamans, ni métas ou devins. Je ne connaissais presque rien des créatures magiques. Je ne savais rien du passé de la magie sur Terre et je ne savais aucune des histoires que tout habitant de la Frontière avalait dès le berceau, en même temps que le lait de leur mère. Ma version de la guerre des Sept était horriblement tronquée et déformée et je n'avais aucune idée d'à quel point ce que j'étais, ce que j'étais devenu, faisait de moi une aberration, une créature que jamais la nature ne se serait permise d'enfanter. Il m'avait fallu venir à Portal, me baigner dans les effluves de pouvoir qui imprégnaient la cité et découvrir de mes yeux magiques l'infinité des créatures qu'elle abritait pour mesurer à quel point j'étais anormal. A mon grand désespoir, j'avais rapidement compris que mon essence même faisait de moi un paria qui, s'il était identifié, perdrait absolument tout et en premier lieu, sa liberté.

Mais je n'étais pas stupide, loin de là, et après des semaines de fuite mon instinct de survie était aiguisé à son maximum. Alors je m'étais caché. C'était là une décision facile à prendre pour un gamin malingre à la recherche d'un foyer et désireux, plus que tout, de se fondre dans la masse des nouveaux venus et de ne pas de faire remarquer. J'avais avoué ma clairvoyance, seule partie de moi dont je n'étais pas effrayé, et entretenu au sujet du reste un déni assumé qu'il m'avait ensuite fallu des années pour dépasser. J'avais passé mon adolescence à découvrir ce que signifiait d'être libre et d'être, autant que faire se peut à Portal, en sécurité. A l'époque, je ne rêvais que d'oublier mon passé et ce que ces pouvoirs honnis, que je sentais affleurer, avaient pu me couter.

Puis j'avais muri. J'avais connu l'affection d'une famille avec Maniko et mes sœurs, l'amitié avec Jonas, Saturnin et la faune pittoresque de Mud Square, et j'avais affuté mes capacités de clairvoyant et de voleur jusqu'à, pour la toute première fois, découvrir ce que signifiait la fierté. Dans l'idéal, j'aurai continué ainsi des années mais ma magie latente ne se laissait pas oublier pour autant, à mon grand désarroi. Je la sentais bouillonner au fond de moi, chercher à s'exprimer en ruant à travers chacune de mes cellules pour trouver une soupape par laquelle se libérer. La magie ne peut jamais être niée ou refoulée. Tout habitant de la Frontière le savait. Il s'agissait d'une de ces vérités que chacun admet et j'avais entendu cent anecdotes d'Avant-Guerre, de mages ou métis fey qui en tentant de réprimer leur pouvoirs refoulés s'étaient consumés. Il m'avait néanmoins fallu du temps pour l'admettre, après tout j'étais sacrément têtu. Mais après quelques alertes, où j'avais menacé de déverser mon pouvoir en dehors de tout contrôle et toute sécurité, j'avais accepté que pour mon propre bien, je devais embrasser celui que j'étais devenu au lieu de le nier.

J'avais donc commencé à libérer ma magie, délicatement et prudemment et toujours dans le plus grand des secrets. J'avais expérimenté dans l'intimité de mon chez moi, exercé mes capacités et testé mes limites mais toujours dans l'angoisse atroce de me faire remarquer. Au fur et à mesure que ma réputation de monte-en-l'air se renforçait, j'avais commencé à considérer mon pouvoir comme un atout, certes à double tranchant et susceptible de me piéger s'il était révélé, mais néanmoins suffisamment utile pour me pousser à l'affiner. L'affinité avec le plomb était venue en premier, aisément. Peu de temps après, ma facilité à contrôler des circuits électroniques, ainsi que tout objet suffisamment chargé en tech, s'était révélée, m'ouvrant de gigantesques perspectives dans mes activités professionnelles. C'était là deux volets avec lesquels je me sentais raisonnablement à l'aise, suffisamment pour en user lorsqu'il le fallait.

Frontière tome 1-L'éveil du TechnomageWhere stories live. Discover now