Chapitre 23 - Saut dans le vide

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— Tu promets de ne pas te moquer ?

Isabella examina l'expression de Duncan, qui hocha la tête.

— Pourquoi me moquerais-je ? répondit-il en haussant les épaules.

— Eh bien... Il m'arrive souvent d'avoir l'impression d'avoir peint un tableau assez réussi et puis... Quand je le regarde des décennies plus tard, je le trouve affreux. Peut-être que celui-ci est horrible, mais que je ne le vois pas encore ?

Il fronça les sourcils, visiblement un peu perdu. Après avoir couru comme des enfants à travers toute la capitale, ils étaient rentrés au palais. La princesse avait décidé qu'il était temps de lui révéler son oeuvre, or à présent, elle craignait quelque peu sa réaction. Et s'il n'aimait pas du tout son style ? La principale question qui la turlupinait était pire : et s'il ne reconnaissait pas ce qu'elle avait tenté de reproduire ?

— Vous... Tu... Je suis certain que c'est très beau.

L'entendre hésiter quant à la manière de s'adresser à elle la fit sourire. Depuis leur danse, elle se sentait incroyablement proche de lui, et elle espérait qu'ils ne reviendraient pas en arrière.

Elle déverrouilla la porte menant à son petit atelier et l'invita à entrer. Avec une légère appréhension, elle contourna le chevalet sur lequel était posée sa toile et il l'imita. La dernière fois qu'elle avait vu ce tableau, elle en était presque entièrement satisfaite. Bien sûr, la perfection n'était pas atteinte, mais en le contemplant, elle ressentait exactement l'émotion qu'elle avait voulu transmettre. À présent qu'une autre personne observait son oeuvre, elle lui trouvait tous les défauts : certaines teintes n'étaient pas exactement telles qu'elle les souhaitait, la perspective aurait pu être améliorée, quelques petits détails méritaient d'être peaufinés...

Elle s'en détourna pour guetter la réaction de Duncan. Ses yeux verts étaient écarquillés et il ne paraissait plus savoir comment fermer la bouche.

— C'est... C'est Fearghasdan, murmura-t-il.

Venait-il d'éternuer ?

— À tes souhaits ? lui lança-t-elle dans le doute.

Il pivota la tête vers elle, son regard bleu-vert empreint d'une lueur de fascination. Elle se mordit les lèvres pour ne pas sourire comme une petite fille.

— Mon... Mon village, ajouta-t-il. C'est la vue qu'on a depuis les remparts !

Jamais elle ne l'avait vu avec un tel sourire. Lui qui d'ordinaire, semblait toujours grave et sérieux, voilà qu'il paraissait redevenir un enfant.

Effectivement, Isabella avait essayé de peindre le magnifique paysage de montagnes. Elle avait dû faire appel à ses souvenirs de l'endroit, ce qui avait été plus facile que l'on pourrait le croire.

Cette nuit, ce lieu et ces étoiles resteraient gravés à jamais dans sa mémoire.

— C'est... C'est l'endroit exact où nous nous sommes rencontrés, s'émerveilla-t-il en regardant alternativement Isabella et le tableau.

Elle confirma d'un signe de tête, trop chamboulée pour parler. C'était grâce à son père qu'elle avait compris ce qu'elle devait vraiment dessiner. L'envie et le goût de peindre ne lui étaient pas revenus parce qu'elle était montée en haut de la tour de guet, mais parce que Duncan l'accompagnait. Et lorsqu'elle pensait à lui, c'était avant tout cette drôle de nuit sur la muraille qui lui revenait à l'esprit.

Que se serait-il passé si elle ne l'avait pas rencontré ? S'il n'avait pas su lire en elle mieux que quiconque ? S'il n'avait pas décidé d'accomplir l'impossible, juste pour s'assurer qu'elle allait bien ?

Histoires de l'OmbreWhere stories live. Discover now