Chapitre 6

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Martin m'envoie cinq SMS le matin, sept autres pendant la cantine et quatre l'après-midi. Cela me déconcentre et je n'y réponds pas. Je préfère jouer au bon élève, ce que j'ai d'ailleurs bien l'intention d'être au cours des prochains mois. J'écoute donc d'une oreille attentive les discours de plus en plus stressants de nos professeurs sur le contrôle continu et les épreuves du bac.

Ce n'est que lorsque la cloche de mon dernier cours retentit que je daigne sortir mon téléphone et écrire :

Ma journée s'est bien passée. On se téléphone ce soir.

Et j'envoie sans ajouter de cœur ni rien. Je ne suis pas quelqu'un de sentimental, moi.

Martin me répond aussi et, lui, met des cœurs partout. Je m'efforce de ne pas y prêter attention, même si mon propre coeur en profite pour se mettre à battre un peu trop vite, cet idiot.

Émile ne finissant pas à la même heure que moi, je me mets en route sans l'attendre. La pluie a daigné cesser de tomber et je distingue même un tout petit bout prometteur de ciel dégagé. Avec un peu de chance, je pourrais aller courir un peu dans les bois avant le retour de mes parents. J'ai bien envie de me dégourdir les pattes. On ne le croirait pas comme cela, mais, lorsqu'on y a goûté une fois, prendre sa forme de loup devient addictif. Il paraîtrait même que je deviendrais ronchon lorsque je ne me métamorphose pas assez souvent. Ce n'est qu'une rumeur, bien sûr.

Pruneau m'attendait dans l'entrée lorsque je pousse la porte de la maison.

— Viens, je lui dis en déposant mon sac de cours rempli de livres dans un coin. On va se promener.

Le chiot s'empresse aussitôt d'exprimer sa joie intense, comme un enfant qui s'apprête à ouvrir ses cadeaux le soir de Noël. Pour Pruneau, on est tous les jours Noël. Je l'envie, parfois. La vie est belle, quand on est un chien sans souci.

Nous ressortons tous les deux et avançons d'un pas vif. Pruneau trottine pour rester à ma hauteur. Je le vois tourner fréquemment le museau vers moi. Je sais très bien ce qu'il attend : que je me transforme.

La première fois que je me suis métamorphosé en loup devant mon chiot (qui est aussi la première fois où je me suis transformé tout court), il a été terrifié. Puis il s'y est habitué. Puis il a commencé à trouver cela très rigolo. Maintenant, son jeu préféré consiste à me poursuivre lorsque nous courons tous les deux à quatre pattes. Il peut le faire des heures durant sans se lasser, contrairement à moi. Quand je fais mine de vouloir m'arrêter, il vient me mordiller les mollets.

— Attends un peu, je le gronde. Nous ne pouvons pas le faire en pleine rue.

Mais il feint de ne pas comprendre. Il ne me respecte déjà pas beaucoup en temps ordinaire mais, quand je deviens un membre de l'espèce canine, comme lui, il ne me respecte plus du tout, considérant que nous nous ne trouvons désormais sur un pied d'égalité.

A ce rythme-là, nous atteignons rapidement la forêt. Le début de pluie n'a pas encore réussi à transformer le sol de la forêt en boue, comme ce sera le cas plus tard sans discontinuer pendant des mois. Nous avançons donc sur un sol encore sec. J'essaie de ne pas penser au fait que, la dernière fois que j'ai pris ce chemin, Martin était à côté de moi. Tout me paraît plus terne, sans lui. Le vert des feuilles est déjà moins vif et l'on peut sentir que l'automne approche.

Pruneau pousse un gémissement frustré et vient frapper ma jambe de son museau.

— D'accord, d'accord, je grommelle. On est assez loin. Je vais me transformer.

Le chiot s'assied sur le derrière avec un air très satisfait sur le museau. Il se dandine avec impatience en me voyant retirer mes vêtements un à un pour les fourrer dans un sac en plastique.

Le loup et moi 2 [terminée]Where stories live. Discover now