Chapitre 33

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Mme Jean estime que je ne suis pas encore prêt à me battre avec un vrai pieux. Je ne suis pas du même avis. Je préfère être opérationnel le plus rapidement possible, au cas où, parce qu'un vampire ne se laissera pas arrêter par un rouleau de sopalin, même agité avec la main d'un maître. Et puisque mon entraîneuse ne veut pas m'aider, je suis obligé de me fabriquer moi-même mes pieux.

Une fois sûr que mes parents sont concentrés sur leur feuilleton préféré, je décide d'aller voir dans le petit cabanon du fond du jardin où Papa range les outils de bricolage qu'il n'utilise quasiment jamais, mais qu'il a tout de même voulu acheter à notre arrivée, allez savoir pourquoi. La crise de la cinquantaine, peut-être. Ou parce qu'il avait lu quelque part que le propriétaire d'une maison se devait d'en posséder, sans forcément savoir pourquoi. Cela lui ressemblerait bien. Il nous avait fait le même coup en achetant tout un matériel de barbecue qu'il s'est retrouvé incapable d'utiliser (heureusement que le père de Martin était là pour l'aider à le mettre en marche).

Le jardin que je traverse en sortant par la porte de la cuisine est plein de mauvaises herbes qui poussent plus vite que ne jardinent mes parents (ils se donnent pourtant beaucoup de mal, les pauvres, mais ils restent des citadins dans l'âme). Depuis cet été, nous le sur-utilisons. Comme le temps est encore assez chaud, mes parents insistent pour que nous mangions dehors dès qu'il fait suffisamment beau. Je n'ai rien contre le principe, mais cela nous oblige d'abord à laver la table et les chaises en plastique qui se salissent sans arrêt, à transporter les assiettes et les plats depuis la cuisine, puis de tout refaire en sens inverse après le repas. Sans compter qu'il arrive parfois qu'il se mette à pleuvoir soudainement et que nous nous retrouvions à tout devoir rapatrier précipitamment. Et je ne parle pas des mouches et des guêpes qui nous tournent autour sans arrêt. J'ai une sainte horreur des insectes.

En quelques pas, j'arrive déjà au cabanon dont je n'ai qu'à pousser la porte qui n'est jamais verrouillée. J'inspecte les étagères déjà bien poussiéreuses. Je suppose que j'aurais besoin d'une hache. J'en vois justement une qui n'a l'air de n'avoir jamais servi, à en croire sa lame immaculée. Ni une, ni deux. Je m'en empare. Mes bras tombent aussitôt vers le bas. Oulà. Elle est plus lourde que ce que je pensais. J'ai failli me la faire tomber sur le pied. Bon, je l'ai bien en main, maintenant. Il ne me reste plus qu'à trouver un morceau de bois pour le tailler.

Je tourne la tête à droite et à gauche, en quête d'inspiration. Et, soudain, je vois quelque chose d'intéressant posé contre un mur : l'ancien volet cassé qui pendouillait dans le vide et que Martin a retiré à la fin de l'année dernière. Mes parents l'ont gardé, pour une raison inconnue. Et si je l'utilisais pour fabriquer mes pieux ? Cela me paraît une excellente idée. Cela m'évitera de devoir aller ramasser des branches dans la forêt. Et puis, cela lui fera les pieds, à ce volet. Il n'a pas arrêté de menacer de nous tomber dessus pendant des semaines. Qu'il se rende utile, à présent.

Je l'attrape d'une main et vais le poser sur un gros rondin. Il oscille un moment avant de se stabiliser.

Je n'ai jamais manipulé une hache, mais j'ai déjà vu des gens le faire dans des films (surtout des psychopathes qui découpaient des corps en morceaux, mais bon, le principe doit être le même pour les morceaux de bois, le sang en moins). De plus, je ne suis pas un citadin né comme mes parents, moi. Je suis un loup-garou. Les loup-garous sont faits pour vivre dans la nature et se débrouiller par eux-mêmes.

Chlac !

La hache que j'abats manque le volet qui tombe par terre dans un grand vacarme et vient se planter dans le rondin.

Bon, on ne peut pas réussir à tous les coups. J'attrape le manche à deux mains et tire dessus de toutes mes forces. La lame est cependant profondément enfoncée et refuse de céder. Je pose un pied contre le rondin et m'échine de plus belle. Je grogne, je peste, je jure. Rien à y faire. Je finis par renoncer. Une hache n'est d'ailleurs sans doute pas le meilleur outil pour faire un pieu. Cette scie, là-bas, fera parfaitement l'affaire.

Je positionne le volet sur une chaise et je me remets au travail.

Cricht cricht.

Je découpe le volet en suivant la séparation des planches et je dois dire que je ne me débrouille pas trop mal. Les copeaux de bois s'accumulent à mes pieds. Je m'éponge le front. Bricoler est plus difficile que ce que je pensais. Je comprends pourquoi Papa préfère aller visiter des châteaux forts.

Au bout d'un certain temps, je finis par dégager une longue bande de bois. Il ne me reste plus qu'à rendre son bout pointu, ce dont je m'occupe avec un canif que je trouve sur une autre étagère. Voilà, mon pieu est terminé !

Je le fais tourner devant moi, plutôt satisfait de mon travail.

Le cabanon n'était pas grand, je sors dans le jardin pour essayer ma toute nouvelle arme. J'effectue les quelques mouvements que Mme Jean m'a appris. Ils sont tout de même plus impressionnants avec un vrai pieu qu'avec un rouleau de sopalin. Gare au vampire qui se mettra sur ma route ! Hop ! Je transperce un cœur. Hop ! J'en transperce un autre.

— Qu'est-ce que tu fais, cousin ? me demande une voix traînante.

Je me retourne précipitamment. Tranquillement assise à l'envers sur l'une des chaises de jardin, un chewing-gum dans la bouche, Florence m'observe apparemment depuis un petit moment.

Je cesse aussitôt d'agiter mon pieu que je cache derrière mon dos.

— Euh...Je... Je suis en train de fabriquer les accessoires pour mon costume d'Halloween pour la fête du lycée, j'invente avec ma vivacité habituelle. J'ai l'intention de me déguiser en chasseur de vampire !

Elle se lève et fait une grosse bulle rose.

— Cool, lance-t-elle en dégonflant cette dernière. Et moi je pourrais me costumer en vampire et on pourrait se battre.

Je soupire.

— Ouais. Super idée. Sauf que la fête a lieu au lycée et que tu n'es pas invitée. Et se battre n'y est certainement pas autorisé.

Elle me toise.

— Vous pouvez inviter quelqu'un, nan ? Je serai ta cavalière.

Je fais la moue.

— Impossible. C'est Martin mon cavalier, bien sûr.

Ce qui me fait penser que je ne lui ai toujours pas demandé de m'accompagner. Enfin, je suppose qu'il s'en doute, puisqu'il a fréquenté le même lycée que moi pas plus tard que l'année dernière.

Elle hausse les épaules.

— Et bien j'irai avec l'un de tes amis, si tu en as.

Je lui jette un regard indigné.

— Bien sûr que j'en ai ! J'en ai même beaucoup.

À savoir quatre : Joséphine, Émile, Simon et Noémie. L'un d'entre eux acceptera peut-être de se coltiner ma cousine. Je ne leur en voudrais pas s'ils refusaient tous. Joséphine dira probablement oui, gentille comme elle est.

Comme si je ne voyais pas assez ma cousine comme ça !

Le loup et moi 2 [terminée]Where stories live. Discover now