Chapitre 9

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Comme si le monde entier conspirait pour me pourrir la journée, notre prof de philosophie nous annonce nous avoir préparé une épreuve de commentaire de texte comme au bac surprise et qui comptera dans notre moyenne.

— Comme vous n'avez qu'une heure, vous vous contenterez de présenter une introduction et votre plan, annonce-t-elle en nous distribuant un polycopié à chacun.

Je lis une première fois le texte. Puis une seconde. Puis une troisième. Je ne réussis qu'à me remplir le cerveau de points d'interrogation. Qu'est-ce que cet auteur veut bien vouloir dire ? Je comprends séparément les mots qu'il utilise, mais, mis ensemble, ils n'ont plus le moindre sens !

Je grignote furieusement le capuchon de mon stylo, ce qui ne m'aide pas à mieux comprendre. Un regard furtif autour de moi m'apprend que la plupart de mes camarades, dont Joséphine, sont déjà en train de gratter furieusement leurs feuilles de brouillons. Ma voisine a même rempli une page entière !

Je me masse les tempes pour me concentrer. Ma fatigue ne m'aide pas. Mes yeux papillonnent. Je pourrais m'endormir sur le champ et me mettre à ronfler, mais cela ne serait pas du meilleur effet pour le premier devoir sur table de l'année.

L'heure tournant, je finis par élaborer un plan qui reflète mon peu de compréhension du texte et gribouille ce qui pourrait passer pour une introduction rédigée par une personne sous hallucinogènes.

Lorsque la cloche retentit, je dépose ma copie à toute allure et m'empresse de quitter la salle avant que la prof n'ait eu le temps de la lire et de me courir après pour m'expliquer à quel point je suis nul.

— Je pensais que cela serait pire, me confie Joséphine en me rejoignant, le sourire aux lèvres. Le texte était plus simple que d'autres que j'ai lus cet été.

Je lui jette un regard effrayé.

— Tu en as lus beaucoup ?

Elle a un geste vague de la main.

— Quelques-uns. J'avais peur de ne pas en avoir le temps pendant l'année.

Je me mordille le bout de l'ongle du pouce. Pour ma part, j'ai passé l'essentiel de mes vacances à gambader tout nu dans la forêt. Cette année, en raison de l'absence de Martin qui me déconcentrait, je n'aurai cependant rien d'autre à faire qu'à me concentrer sur mes études. Tout devrait donc bien se passer. N'est-ce pas ? Je peux encore me rattraper.

Lorsque je sors du lycée en fin d'après-midi, Stéphane ne prend heureusement pas la peine de venir m'escorter sur le chemin du retour, jugeant apparemment que les vampires ne sont qu'un produit sans danger issu de mon imagination fertile.

J'ai la surprise de voir que mes deux parents sont déjà à la maison quand je pousse la porte.

— N'enlève pas tes chaussures, mon grand, nous allons dîner chez un client, explique mon père en se frottant les mains. Un producteur de lait et de fromages de la ville a acheté à mon entreprise cinq fenêtres ! C'est moi qui les lui ai vendues.

Il a l'air tout fier en déclarant cela. Je crois qu'il touche une prime sur chaque vente.

— Je ne peux pas rester à la maison ? je demande avec ennui.

Les dîners avec les clients ne sont pas toujours passionnants, sauf si on adore entendre parler de double vitrage et de cadres en PVC.

— Depuis que tu sors avec Martin, nous ne te voyons presque plus, se plaint aussitôt ma mère. Je comprends que tu préfères la présence de ce fringant jeune homme plutôt que de celle de tes vieux parents, mais, tout de même...

Je roule des yeux. Mes parents ne sont tout de même pas si vieux que cela.

— Maman... Martin n'habite même plus ici...

Elle prend son air le plus misérable.

— Il n'empêche que tu nous manques terriblement, lapin.

Résigné, je rends les armes et me contente de poser mon sac de cours dans un coin. Après tout, si cela peut faire plaisir à mes parents et me changer les idées par la même occasion...

Nous débattons un instant pour savoir s'il convient de prendre Pruneau avec nous ou pas. Nous finissons par décider que non, parce qu'il n'est pas toujours très sage et qu'il ne serait pas bon pour les affaires de mon père qu'il fasse ses besoins dans l'entrée de son client. C'est donc sans lui que nous quittons la maison dix minutes après que j'en ai franchi le seuil en sens inverse. Mon chiot se met aussitôt à geindre derrière la porte fermée et nous montons dans la voiture avec une certaine mauvaise conscience.

— Où habite ton client ? demande Maman tandis que nous démarrons.

— Je n'étais encore jamais allé par-là. C'est une maison très étrange, mais sympathique, située un peu à l'écart de Gardelune. Une sorte de bunker.

Je me fige. Un bunker ?

— C... comment s'appelle ce fameux client ? je demande en craignant le pire.

— Jérôme Raspail. Un homme très avenant.

J'étouffe un juron. J'ai été piégé !

Je sors mon plus beau jeu d'acteur.

— Je ne me sens pas très bien, je déclare en croisant les bras sur ma poitrine.

Ma voix est juste faible comme il le faut.

Ma mère se retourne aussitôt pour me jeter un regard inquiet.

— Où as-tu mal, chéri ?

— Partout, je réponds, sans parvenir à me décider. À la tête. Au ventre. Aux oreilles.

— Tu as mangé quelque chose de bizarre à la cantine ?

Je saute aussitôt sur cette excuse toute trouvée.

— Peut-être bien. Le hachis parmentier avait un drôle de goût.

Ce qui était vrai, mais il faut dire que les hachis parmentiers des cantines ont toujours un drôle de goût.

Elle se penche pour poser une main sur mon front.

— Pauvre lapin. Tu n'as pas l'air d'avoir trop de fièvre. Nous allons tout de même faire demi-tour pour te ramener à la maison et nous rendre seuls chez ces Raspail, n'est-ce pas, Michel ?

J'hésite un quart de seconde. Puis je cesse d'avoir l'air mourant.

— Non, non, ça va mieux tout à coup, je grommelle de mauvaise grâce.

Qui sait ce que les Raspail pourraient faire subir à mes parents, si je les laisse se jeter seuls dans la gueule du loup ? Il est plus prudent que je sois présent, même si je ne vois pas très bien comment je pourrais les défendre face à une meute entière. Les récents événements ont montré que mes talents de combattants laissaient pour le moins à désirer, surtout lorsqu'un arbre est de la partie.

Mes parents échangent un regard surpris, mais continuent de rouler.

Je regarde mornement par la fenêtre. Les Raspail habitent à l'autre bout de Gardelune, ce qui signifie qu'il nous fait au moins dix minutes pour atteindre leur propriété.

Je grimace lorsque notre voiture franchit le portail grand ouvert. Je ne pensais pas revenir un jour ici... L'endroit me paraît toujours aussi sinistre. Sur un panneau en bois planté bien en vue il est écrit : "bienvenue à la ferme Raspail", avec un joyeux dessin de vache.

La dernière fois, je n'avais pas eu l'occasion de bien examiner les lieux. Probablement parce que j'étais captif au fond d'une fourgonnette à l'aller, puis trop soulagé d'avoir échappé à une mise à mort au retour. Par contre, je connais très bien leur buanderie et la marque de leurs caleçons (Calvin Klein, pour ceux que ça intéresserait)...

J'hésite un instant à envoyer un message à Martin pour le prévenir de la situation, au cas où les Raspail décidaient à nouveau de me séquestrer (on ne sait jamais). Puis je me décide à ne pas le faire, pour ne pas contrarier l'alpha. Je pense qu'il ne serait pas ravi d'apprendre que je vais passer ma soirée chez la meute ennemie, même si ce n'est pas de ma faute. Je range donc mon portable au fond de ma poche lorsque mon père gare la voiture sous un pommier.

Le loup et moi 2 [terminée]Where stories live. Discover now