Chapitre 50

1.7K 240 76
                                    


Puisque mes parents ne sont pas là (ils avaient prévu de passer la nuit à l'hôtel, après leur spectacle), je propose à tout le monde de venir prendre le petit-déjeuner chez moi.

La cuisine qui n'a jamais été aussi bien remplie est bientôt envahie par un joyeux brouhaha. Je sors tous les bols que possèdent mes parents pour les disposer sur la table, y compris celui qui ébréché et que nous n'utilisons jamais (ma mère ne s'est jamais résolue à le jeter parce que c'est un cadeau de mariage et, apparemment, on ne jette pas un cadeau de mariage, même moche et ébréché et même s'il a été offert par une affreuse grande tante qu'on a jamais revue depuis). Martin m'aide en se chargeant des couverts. Pruneau se contente de traîner dans nos jambes, ravi d'avoir de la visite, surtout celle d'Éric qui est son grand préféré. Oui, il l'adore même plus qu'il n'adore Martin. Les goûts de ce chiot me désespèrent. Cela dit, Joséphine ne fait pas preuve de plus de jugeote que lui, puisque nous la voyons tous se poser sur les genoux d'Éric avec un air de défi. Cet air est gâché par le rougissement intense qui colore son visage, mais bon. Mon amie est une rebelle qui ne s'assume pas.

Stéphane, Emile et mon imbécile de demi-frère se servent abondamment de Miel Pops. Toute ma prévision de céréales va y passer, mais tant pis. Mes parents en rachèteront. Avoir un salaire leur sert à ça, non ?

Comme tout le monde semble décider à se remettre de nos aventures avec un chocolat chaud, je fais couler une brique entière dans une casserole que je pose sur le feu. Je touille dedans pour éviter que le lait n'accroche. Promis, je n'y ajoute pas d'ail. Pas même un peu. De toute façon, cela ne semble rien faire à Fleur, alors...

Non je ne dirais pas à voix haute devant tout le monde que j'étais le seul à avoir raison au sujet de la nature de la coloc de Martin. Même si c'est le cas. Et que personne ne voulait me croire, sauf Pruneau, Joséphine et Mme Jean. Et encore, Pruneau ne s'est pas exprimé clairement à ce sujet.

Pouf ! La boîte de nesquik se vide entièrement dans la casserole. Une chose de plus que mes parents devront acheter. Je vais leur faire une liste.

— Tu as autre chose que des céréales de gamin ? me demande alors Fleur.

J'agite ma spatule en direction de l'abominable coloc qui, prudemment, s'est assise le plus loin possible de Martin pour ne pas déclencher mon juste courroux.

— Je n'ai pas de poche de sang à te proposer, je déclare d'un ton sans réplique. Et, je te préviens, je ne suis pas volontaire comme donateur.

La jeune vieille vampire lève les yeux au ciel.

— Je peux manger de la nourriture humaine. Tu m'as déjà vu le faire à Lyon, d'ailleurs.

Tout à coup, je ne parviens plus à réfréner ma curiosité.

— Mais est-ce que tu bois quand même de temps en temps du sang ? je lui demande.

Florence grimace derrière son bol.

— A-t-on besoin d'évoquer cela pendant le petit-déjeuner ? râle-t-elle.

Cela ne l'empêche pas de se bourrer de mes Miels pops, plus encore que les garçons. Le paquet est déjà presque vide.

D'ailleurs, personne d'autre ne proteste, car tous les regards se sont tournés vers Fleur qui entortille une mèche entre ses doigts d'un air renfrogné.

— De temps en temps, finit-elle par reconnaître. J'en ai besoin pour rester en forme. Mais sachez que je n'ai jamais tué personne pour cela ! Je ne suis pas un monstre ! Je me contente d'animaux et je m'arrête avant de prendre leur vie.

Éric hausse les épaules.

— Tu te trouves en présence d'un groupe de loups-garous, fait-il remarquer. Nous n'avons rien contre les monstres.

Florence ne dit rien, mais je vois bien qu'elle est jalouse, à son petit air pincé. Je suis sûr qu'elle rêverait elle aussi d'être une créature surnaturelle, et non une banale humaine. Une banale humaine ceinture noire de karaté, certes, et avec deux K d'abonnés sur Instagram, mais une banale humaine quand même. N'est pas un monstre qui veut. Et toc !

Je m'intéresse à nouveau à Fleur.

— Quel âge as-tu, exactement ?

Elle me rend me regard pendant un moment. Puis, finalement, elle me répond juste :

— Voyons, Théo, cela ne se fait pas de demander l'âge d'une dame.

Cette réponse ne me satisfait pas. J'aurais encore énormément de questions à lui demander. Notons d'ailleurs que cette demie vampire semble ne pas vieillir, alors qu'elle a été un bébé un jour, ce qui est louche. Je parlerai d'elle à Mme Jean. S'il y a quelqu'un qui pourra lui tirer les vers du nez, c'est bien elle. M. Imbert et M. Raspail vont probablement aussi vouloir l'interroger. Ils sont maintenant bien obligés de croire à l'existence des vampires, puisque nous les avons appelés pour qu'ils puissent voir les cadavres de leurs propres yeux. N'allez pas pour autant vous imaginer que l'un d'entre eux s'est excusé auprès de moi de m'avoir ri au nez lorsque j'ai essayé de les avertir. Enfin, ils savent au moins maintenant que je ne suis pas complètement cinglé, quoi qu'en pense ma prof de philo.

Je me tourne précipitamment vers ma casserole en entendant le lait faire un drôle de bruit. Il était en train de déborder. Je coupe le feu et répand le chocolat chaud dans les différentes tasses que je tends une à une à mes invités.

Comme Joséphine l'a fait, je décide alors d'aller m'asseoir sur les genoux de Martin qui paraît surpris mais content. Il referme ses bras autour de moi tandis que je cale mon dos contre son torse. C'est très agréable. D'une narine, je sens l'odeur du chocolat chaud. De l'autre, je respire celle de Martin. Voilà un parfait cocktail pour bien démarrer la journée.

Le petit-déjeuner continue à se dérouler d'une façon joyeuse. Quand tous mes céréales ont disparu, mes compagnons de combat s'emparent des biscottes de Papa à qui ils font un sort définitif en les aspergeant de gelée de groseille.

— Théo, me dit soudain Martin, j'aimerais te parler.

L'alpha n'a pas parlé très fort, mais la cuisine se trouve instantanément plongée dans le silence.

Émile se racle la gorge et referme le pot de gelée pratiquement vide.

— Je crois que je devrais rentrer chez moi, dit-il. Mes parents vont finir par s'inquiéter.

— Les miens aussi, s'empresse d'ajouter Joséphine.

— Je te raccompagne, ajoute aussitôt Éric.

Florence marmonne qu'elle a besoin de se promener et que, tiens, elle va prendre Pruneau avec elle. Fleur propose de les accompagner, au cas où, sait-on jamais, des vampires continueraient à rôder dans le coin.

Je tiens à préciser que Pruneau quitte la maison avec enthousiasme, sans un regard en arrière. Je pensais que les chiens étaient fidèles à leur maître. La joie d'aller se promener semble l'emporter largement sur cette prétendue fidélité.

Le loup et moi 2 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant