Chapitre 17

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Comme j'ai du temps à tuer avant mon rendez-vous avec Mme Jean, je décide d'étaler sur mon bureau les différents ouvrages de philo que j'ai péniblement transportés à dos de Théo jusqu'à la maison. Ils sont tous très gros, avec un papier fin et une couverture austère dépourvue d'image. Si vous voulez mon avis, ce n'est pas ainsi qu'ils vont pousser les gens de mon âge à adorer cette matière.

J'en prends un au hasard. J'essaie de le lire avec sérieux, les yeux fixés sur les lignes, mais je n'arrive pas à me concentrer plus que quelques secondes. Je me rends vite compte que je relis la même phrase plusieurs fois, l'esprit ailleurs, et je finis par refermer l'ouvrage en soupirant. Je crois que la philosophie n'est pas pour moi, et inversement. Cela nécessite d'être un penseur et moi je suis plus... euh... un homme d'action ?

Fait à noter pour mes recherches de profession.

Pour éviter d'avoir à faire mes devoirs, j'échange quelques SMS avec Martin, ce qui me détend. Je ne lui ai pas dit l'autre jour qu'Éric Raspail était venu chez moi. Techniquement, il voulait que je le prévienne lorsque je vais dans un endroit inhabituel et, dans le cas présent, nous étions dans ma chambre, ce qui est loin de correspondre à la définition d'un "endroit inhabituel". Bref... Je n'ai donc pas trahi la confiance de l'alpha. N'est-ce pas ? De même, je ne vois pas l'intérêt de l'informer du fait que je me rends chez Mme Jean parce que je ne pense pas que cela me fasse courir le moindre risque.

Malgré cette ferme conviction, je ne peux pas m'empêcher de ressentir une minuscule pointe de mauvaise conscience qui n'a certainement pas lieu d'être.

"Je suis en train de monter la première version de mon court métrage", m'écrit Martin. " Ça ne sera pas fini pour ce week-end, je pense. Je te l'enverrai sans doute la semaine prochaine pour que tu me donnes ton avis !".

Je fronce les sourcils. Comment cela son court métrage est en cours de montage ? Je ne savais même pas qu'il était tourné. Je pensais qu'il allait me demander d'y participer. Ne serait-il pas normal de demander à son petit ami de jouer le rôle principal ? Apparemment non...

Un peu avant 16 h, je vais enfiler une veste et une paire de baskets. J'essaie de ne pas accorder d'attention à Pruneau qui me fait la tête, très mécontent de constater que je ne l'emmène pas avec moi pour une promenade dans les bois (la rencontre avec la vampire ne semble pas l'avoir traumatisé). Je suis certain qu'il va à nouveau faire ses besoins dans l'entrée, en guise de représailles, et que ce sera encore à moi de tout ramasser, vous verrez.

La maison de Mme Jean est située à moins de cinq minutes de chez mes parents, ce qui n'est pas un grand exploit à Gardelune. Depuis que j'habite ici, je n'utilise plus du tout google maps. À quoi bon, quand il n'y a que quelques rues qui se battent en duel ? Je les connais déjà toutes par cœur.

J'écrase mon doigt sur la sonnette et recule d'un pas.

Ding dong.

Je danse nerveusement d'un pied à l'autre, mal à l'aise.

La porte s'ouvre et une petite femme dynamique me fait face.

Mme Jean semble changer de style à chaque fois que je la croise. La première fois que j'ai rencontrée (si on fait abstraction du jour de ma naissance, bien sûr), elle portait un tailleur bleu vif de femme d'affaires. Et le jour où elle est venue m'aider à m'évader de chez les Raspail, elle était vêtue de sa combinaison noire de ninja. Elle s'est contentée aujourd'hui d'un pantalon rose et d'un chemisier à fleurs qui lui donnent presque l'air d'une personne normale. Ses boucles rousses virvoltent dans tous les sens.

— Entre Théo, entre, s'exclame-t-elle apparemment ravie de me recevoir chez elle.

Elle s'efface et j'avance avec une certaine timidité. C'est la première fois que je pénètre dans sa maison. Les autres fois, nous nous étions donnés rendez-vous dans des endroits neutres, comme un café. Elle devait avoir compris que cela me mettait plus à l'aise.

L'entrée, très étroite, est encombrée par un grand porte-manteaux plein à craquer de vêtements qui illustrent la diversité de sa garde robe. Mme Jean réussit à y trouver je ne sais comment une petite place pour ma veste et me dit d'entrer dans le salon à gauche.

Les murs de la pièce sont tous recouverts de bibliothèques si remplies qu'on ne pourrait réussir à y glisser un magazine même très fin. Je jette un regard aux livres. Ce sont tous des romans à l'eau de rose, ce qui me surprend. Je ne pensais pas Mme Jean versée dans la romance. Enfin, après tout, pourquoi pas. Elle a bien vécu une aventure extra-conjugale apparemment torride avec M. Raspail à laquelle je préfère ne pas trop penser. En réalité, je préfère ne pas y penser du tout. Je me demande ce qu'elle pouvait trouver à ce psychopathe chauve aux grandes narines tueur de lapin. Il n'a même pas de piercing ou de tatouage cool, comme les autres bad boys.

— Ces bouquins servent juste à camoufler le véritable contenu de cette bibliothèque, m'explique cependant Mme Jean avec impatience. Quoique je ne déteste pas en lire un de temps en temps. Il n'y a rien de mieux pour se détendre qu'une romance un peu niaise. À part un bon bain, sans doute, et il m'arrive de cumuler ces deux activités.

Elle commence alors à retirer quelques livres. Je m'attendais à voir le mur pivoter et à découvrir derrière une pièce secrète remplie d'armes. Si nous étions dans un film, c'est certainement ainsi que les choses se seraient passées. Mais comme je dois me contenter de vivre dans la réalité (aussi bizarre soit-elle), je constate juste que seule une deuxième rangée de livres se cache derrière les romans.

— Et voilà ! s'exclame l'agente dans un grand mouvement de bras.

Je comprends qu'il est temps de prendre un air impressionné, même si ne sais pas encore pourquoi, et j'avance de quelques pas. Je prends un livre du deuxième rang au hasard. Il s'intitule : Comment j'ai apprivoisé un loup-garou pour en faire mon chien de garde.

Je hausse un sourcil.

— Vous êtes sûre que ces livres sont d'un grand sérieux, Mireille ?

Devant elle, je suis prié de ne pas l'appeler Mme Jean, même si cela me brûle les lèvres.

— La grande majorité de ces ouvrages racontent n'importe quoi, reconnaît l'agente immobilière. Je me les procure systématiquement, au cas où ils contiendraient une part de vérité. Certains d'entre eux sur les loups-garous te feraient bien rire, dont celui que tu as dans la main. Mais quelques-uns, fort rares, sont de véritables trésors. J'imprime également les articles ou les blogs que je trouve sur internet. Bizarrement, il arrive souvent que leur contenu disparaisse bien vite...

Je remets l'ouvrage dans le rayonnage, étant déjà pourvu en chien de garde (même si Pruneau dort trop profondément la nuit pour garder quoi que ce soit).

— Qui les écrit ? je m'étonne. Et comment obtiennent-ils des informations ?

L'agente soupire, frustrée.

— Il est très difficile de le savoir. Ceux qui disent la vérité ne donnent jamais leur vrai nom et se font très discrets, sans doute pour éviter d'être retrouvés par les créatures surnaturelles qu'ils mentionnent. Certains d'entre eux appartiennent peut-être d'ailleurs à ces mêmes créatures.

Je me mordille pensivement la lèvre. Oui, c'est sans doute comme si je décidais de mettre en ligne les mémoires que j'ai commencé à rédiger. Je suppose que cela ne plairait pas beaucoup aux loups-garous de me voir révéler la vérité sur Gardelune en ligne. Enfin, il est probable que personne ne me croirait.

— Je me suis bien sûr concentrée en priorité sur ceux qui parlaient des loups-garous, poursuit Mme Jean. Je voulais en savoir plus sur Jérôme et sur le bébé qui grandissait dans mon ventre.

C'est-à-dire M. Raspail et moi. J'ai toujours beaucoup de mal à concevoir que j'ai pu grandir dans le ventre de la femme en face de moi.

Nous nous ressemblons un peu, physiquement. J'ai hérité d'elle mes tâches de rousseur et ma petite taille. La couleur de mes cheveux provient peut-être de mon père biologique (ce qui est difficile à déterminer, puisqu'il est chauve).

Mme Jean me désigne un canapé en velours vert derrière moi.

— Assis-toi, me suggère-t-elle.

Le loup et moi 2 [terminée]Where stories live. Discover now