Chapitre 39

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Le soir, je me retrouve à bouquiner dans la cuisine, après avoir été chassé de ma chambre par ma cousine. Elle tenait absolument à écouter de la musique et refusait de mettre des écouteurs, sans prétexte qu'elle a des lobes d'oreille trop petits. Je me suis penché vers elle pour examiner ses lobes et les ai trouvés d'une taille très ordinaire, ce qui a agacé Florence qui m'a prié "d'aller jouer plus loin", comme si j'étais un enfant, alors que je ne suis pas loin de mes dix-huit ans.

Je n'ai même pas pu aller me réfugier dans le salon parce que mes parents regardaient un épisode de Secrets d'histoire et ne voulaient pas arrêter, pas même pour me laisser me concentrer sur ma lecture.

Je bâille et sens mes yeux picoter. Il se fait tard et je commence à être fatigué. J'espère que ma cousine a terminé sa petite partie privée, car j'ai bien l'intention d'aller me coucher pour être en forme demain et jouer mon rôle de bon élève.

Je traîne des pieds vers le salon pour dire bonne nuit à mes parents. C'est alors que je suis sur le palier que le drame commence : j'aperçois Croquette, le chat de Florence, descendre les marches et sauter par-dessus le dispositif de chaises de ma mère.

Pouf !

Il se réceptionne habilement sur le carrelage de l'entrée.

— Croquette ! s'exclame Florence en sortant de ma chambre comme un diable hors de sa boîte.

Pruneau qui dormait profondément sur mes parents dresse les oreilles à l'entente de ce nom qui lui rappelle sa source principale de nourriture. Ni une ni deux, il saute sur ses pattes et se dirige tout droit vers l'entrée, me bousculant sans la moindre vergogne. J'essaie de le retenir, mais il me glisse entre les doigts.

— Arrête ton sale chien ! me crie Florence depuis le haut de l'escalier, le visage rouge de colère.

— Arrête ton sale chat toi-même ! je réplique, exaspéré.

— Ouaf ! Ouaf !

L'instant d'après, nous voyons Croquette pénétrer comme une bombe dans le salon, poursuivi par un Pruneau tout enthousiaste à l'idée de pouvoir enfin s'emparer de son ennemi.

Plang !

Dans son entrain, il renverse un fauteuil qui manque Croquette de peu. Maman avait ouvert la fenêtre du salon pour aérer et le chat y voit son salut. D'un bond impressionnant, il saute par l'ouverture avant que l'un d'entre nous ait pu l'en empêcher. Pruneau essaie d'en faire de même, mais Papa parvient enfin à ce moment-là à l'attraper par le collier.

— C'est très mal ce que tu as fait, Pruneau, le gronde-t-il. Il ne faut pas manger les invités, même si ce sont tes ennemis naturels.

Florence entre en trombe dans le salon et se précipite vers la fenêtre.

— Croquette ! crie-t-elle.

Le chat semble cependant avoir poursuivi sa course folle plus loin et ma cousine enjambe à son tout la fenêtre avec tout de même un peu moins de grâce que son animal.

— Va l'aider, lapin, me dit Maman, comme si tout était de ma faute, alors que c'est Croquette qui a voulu aller se balader au rez-de-chaussée.

Peut-être voulait-il juste fuir sa maîtresse. Je peux le comprendre.

Je roule des yeux et quitte à mon tour la maison sans même prendre le temps d'enfiler une veste, ce que je regrette immédiatement, puisque je suis en pyjama et qu'il fait froid. En plus, je n'ai aux pieds que des chaussons qui ne sont pas très adaptés pour poursuivre une cousine déchaînée. J'espère qu'aucun voisin n'est à sa fenêtre sinon, d'ici quelques heures, tout Gardelune sera au courant que "le petit Théo se promène dans les rues en drôle de tenue".

— Croquette ? Croquette ? brame Florence dans toutes les rues de la ville.

Elle court si vite que j'ai du mal à suivre son rythme, avec mes courbatures. En plus, il fait nuir noir et les lampadaires n'éclairent presque rien. Je ne vois pas du tout de quelle façon nous allons retrouver ce chat qui peut s'être réfugié n'importe où.

Si je pouvais me transformer en loup sans risque, il me suffirait de renifler le sol pour suivre sa piste. Nous jouons souvent à cache-cache dans les bois avec Pruneau et je suis plutôt bon à ce jeu-là (il est cependant vrai que mon chiot n'est pas très doué, lui. Généralement, il se contente de se mettre derrière un arbre et bat de la queue, tout excité, si bien qu'il dépasse de derrière le tronc).

À force de courir sans réfléchir, nous arrivons pratiquement à la lisière de la forêt. Mes chaussons vont être fichus, à force de traîner dans la poussière. Et tout ça à cause de mon idiote de cousine et de son idiot de chat !

— Stop ! j'essaie de dire, mais je suis si essoufflé que seul un sifflement étouffé parvient à sortir de mes lèvres.

Je vois soudain un mouvement en direction des bois. Une silhouette en sort. C'est un homme de très grande taille qui se dresse en face, la tête penchée d'une drôle de façon. Son visage est d'une pâleur presque translucide. En nous voyant, il entrouverte la bouche et je distingue clairement des canines en sortie.

Je me fige, horrifié. C'est un vampire ! Et pas le même que la dernière fois, ce qui signifie que Mme Jean a raison : ils se déplacent en groupe.

— Qu'est-ce qu'il a, ce type ? s'étonne Florence en lui accordant un vague regard.

Puis elle aperçoit son chat perché sur un arbre à quelques mètres de là et se dirige vers lui sans plus rien faire attention à autre chose.

— Florence, il faut qu'on parte ! je lui crie.

Mais ma cousine semble obsédée par l'idée de récupérer son fichu chat.

— Allez, viens Croquette, ordonne-t-elle à son animal qui ne fait pas mine de vouloir bouger d'un poil, ses yeux jaunes rivés sur le vampire. Vampire qui, entre parenthèses, est en train de se diriger droit vers une Florence qui a oublié son existence. Il a donc tout le loisir de l'attraper par le bras pour la tirer derrière lui.

Surprise, ma cousine se retourne. Je l'entends crier :

— Lâchez-moi ! Je vous préviens : je suis ceinture noire de karaté !

La menace ne doit pas produire son effet, car la créature continue à l'entraîner derrière elle. Je suppose que le karaté n'a pas été conçu pour combattre les vampires.

— Eh ! Oh ! beugle à présent Florence.

Puis elle décide que le temps des avertissements est écoulé et elle passe à l'attaque. La créature lui tord le bras et paraît indifférent aux coups de pieds pourtant impressionnants qu'elle lui décerne. À la place du vampire, j'aurais renoncé depuis longtemps de m'en prendre à cette furie et je me serais attaqué à une cible moins coriace. Pourquoi donner tant de mal ? Il faut croire que ma cousine est très appétissante, malgré ses cheveux verts qui lui donnent l'air d'une plante mutante.

Comme pour me donner raison, le vampire plante alors ses canines dans son avant-bras, au niveau des veines du poignet.

Florence pousse un glapissement et paraît sur le point de tourner de l'œil.

Je me fige, horrifié. Le vampire est en train de boire le sang de ma cousine ! Comme... comme... eh bien, comme un vampire. Il est une chose de savoir qu'il s'agit de leur mode d'alimentation. Il en est une autre d'en voir un manger juste sous mes yeux. Manger quelqu'un que je connais, qui plus est. Je vois les joues de la créature se colorer légèrement de rouge tandis que Florence devient inversement de plus en plus pâle.

Je suppose qu'il est temps pour moi d'agir. Mais comment ? Si seulement j'avais mes pieux sur moi ! Quelle idée de les garder cachés sous mon lit ! Je ne vais tout de même pas me jeter sur cette créature sans arme.

"Tu as une arme", me rappelle soudain la petite voix du fond de mon esprit qui adore me donner des ordres. "Ta forme de loup".

Hum... C'est vrai. Oui, mais Florence est là et me verrai me transformer...

Je secoue la tête. Oh et puis zut ! La vie de ma cousine insupportable est plus importante que mon secret, j'image. Quoique... Bon, d'accord, si.

Le loup et moi 2 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant