Chapitre 46

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La déclaration de Fleur provoque comme un coup de tonnerre. Je dois avouer que moi-même, alors que j'avais des soupçons depuis longtemps, je me sens ébranlé en entendant la coloc avouer la vérité sans hésiter.

Martin lui jette un regard perdu. Sa coloc paraît étonnamment sûre d'elle, devant un type à poil, une plante mutante, le grand frère de mon copain et quelques loups qui se donnent du mal pour essayer de passer pour de gentils chiens. Quoiqu'il soit sans doute moins grave de dévoiler notre secret devant une vampire, bien sûr.

— Quoi ? bredouille mon petit ami. Mais... mais...Tu... Tu es une... une... ?

Il paraît alors incapable de terminer sa phrase et sa coloc prend pitié de lui.

— Je suis techniquement une demie vampire, précise la jeune femme (enfin vampire, et pas si jeune, puisqu'elle se faisait déjà tirer le portrait il y a cinquante ans !) comme si cela changeait tout. Et je n'ai nullement l'intention de te vider de ton sang ce soir, si cela peut rassurer ton féroce petit ami. Je ne fais pas de mal aux humains.

Je la fusille du regard, nullement rassuré, quoique je sois flatté d'être qualifié de féroce. Il est vrai que je suis un type plutôt tenace. Surtout lorsqu'on s'en prend à ceux que j'aime.

— Comment cela, tu es un demie vampire ? répète pendant ce temps Martin qui, pour une fois, semble souffrir comme moi de problèmes de cerveau.

Espérons que cet état n'est que provisoire. Un déséquilibré suffit dans notre couple.

— Mon géniteur est un vampire, l'informe Fleur.

Au ton qu'elle emploie, elle ne semble pas vouer une très grande affection au géniteur en question. Je suppose qu'il ne fait pas partie du genre de père qui vient raconter des histoires au lit à ses rejetons ou les amène à leur cours de natation tous les mercredis après-midi.

— Ma mère s'est faite violer, reprend la jeune vieille fille d'une voix encore plus dure. Par l'un de ces salopards, qui, apparemment, conservent certaines envies lorsqu'ils ne sont pas trop vieux. Elle a failli y laisser la vie. Heureusement, ma grand-mère était là et a réussi à la sauver. Et, bing, neuf mois plus tard, elle m'a mise au monde. Elle s'est vite rendue compte que j'étais.. différente. Elle m'a cependant aimé et élevé jusqu'à ce que je sois assez grande pour me débrouiller toute seule.

Je lutte contre l'envie de lui demander ce qu'elle veut dire par "se débrouiller toute seule" et depuis combien de temps elle le fait, puisqu'elle mettait des robes il y a cinquante ans. Mais je ne veux pas avoir l'air de m'intéresser à mon ennemie.

C'est à ce moment précis que des dizaines de créatures sortent des bois et se dirigent vers nous à grands pas. Des vampires, bien sûr.

Fleur pousse un abominable juron que je ne répéterai pas.

— Mettons-nous à l'abri, décide-t-elle.

La gare dispose d'un minuscule bâtiment dans lequel se trouve une rangée de bancs durs comme des pierres pour que les voyageurs puissent s'abriter par mauvais temps en attendant leur train. Il y a également une machine pour acheter des tickets, ce qui nous fait une belle jambe lorsque nous nous précipitons à l'intérieur, ainsi qu'un distributeur vide tout aussi peu utile dans la situation présente. À nous tous, nous occupons tout l'espace disponible.

Martin et Stéphane referment la porte derrière nous à clef et poussent l'un des bancs devant. Elle se met aussitôt à trembler.

— Cela ne les retiendra pas longtemps, nous prévient Fleur. L'équinoxe d'automne multiplie la force des vampires.

— Pourquoi en ont-ils après nous ? demande Florence d'un ton beaucoup moins hautain que d'habitude.

Si je ne connaissais pas aussi bien ma cousine, je dirai qu'elle a la trouille. Une sacrée trouille, même.

Fleur me désigne du menton.

— Techniquement, c'est surtout auprès de lui qu'ils en ont.

Je sursaute.

Moi ? Qu'est-ce que je leur ai fait ? À part en mettre un en fuite...

Peut-être que pour eux je suis Le Tueur, comme la fille blonde de la série (sauf qu'elle est La Tueuse, bien sûr). Mais le coloc de Martin casse aussitôt ce délire un peu trop flatteur pour mon égo.

— C'est ton sang, explique-t-elle. Si les vampires se nourrissent essentiellement d'animaux, par souci de discrétion, ils apprécient particulièrement les humains et les autres créatures surnaturelles. Le sang des loups est cependant trop fort pour eux et les empoisonne à trop forte dose. Le liquide qui coule dans tes veines est le mélange idéal entre celui des loups-garous et celui des humains. Disons qu'il est pour eux un cocktail irrésistible qui les enivre sans les rendre malade. Peut-être est-ce pour cela qu'ils ont commencé à se rassembler à Gardelune.

Je me sens mortifié. Non seulement je ne fais pas peur aux vampires, comme je le pensais, mais en plus ils me voient comme une sorte de réserve de nourriture délicieuse. Voilà une chose que l'auteur du manuscrit de Mme Jean ne mentionne pas. Sans doute parce qu'il n'a jamais rencontré de demi loup. Ni de demi vampire, sinon il saurait que sa mixture d'eau bénite n'est pas efficace à tous les coups.

J'agite les bras en songeant soudain à quelque chose qui ne m'avait pas frappé jusque-là.

— Attends, attends, attends....Depuis combien de temps sais-tu que nous sommes des loups-garous ?

Martin fronce les sourcils et les loups déguisés en chien échangent des regards nerveux.

— C'est vrai, ça. Tu as toujours su ce que j'étais ?

Sa coloc hausse les épaules.

— Cela fait un moment que je roule ma bosse, admet-elle en restant vague. Je sais reconnaître un loup. Et oui, je le savais dès le début. C'est d'ailleurs pour cela que je me suis mise en colocation avec toi.

Je croise les bras.

— Pour le vider de son sang ? Je croyais que c'était un poison pour les gens de votre espèce...

Remarquez que j'ai suivi toute son histoire.

Fleur prend l'air agacée.

— Mais non ! Parce que je me suis dit qu'il me sera plus facile de cacher ma nature auprès de quelqu'un qui a lui-même un secret. Nous avons naturellement gardé tous les deux nos distances, et cela nous allait très bien. Et puis j'étais curieuse de côtoyer un loup-garou. J'en ai peu rencontré dans ma vie. Nos deux espèces s'ignorent généralement.

Je me penche en avant, les yeux plissés.

— Cela ne nous explique toujours pas comment tu as su que mon petit ami était un loup-garou. Ce n'est quand même pas marqué sur son visage.

La coloc touche son nez avec un petit sourire.

— À l'odeur.

Je serre instinctivement les poings, furieux. L'odeur de Martin est à moi. Je n'ai pas du tout envie que d'autre que moi la sente. D'accord, il sent super bon. Mais c'est... c'est quelque chose de privé.

Le loup et moi 2 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant