Chapitre 10

2.2K 303 112
                                    


Les Raspail nous ont entendu arriver et sortent nous accueillir sur le perron de leur bicoque affreuse. Jérôme Raspail affiche un petit sourire satisfait qui m'horripile. Cela dit, en présence de mes parents, nous ne pouvons pas avoir la petite conversation "père-fils" qu'il espérait. Et toc !

Mes parents coupent le moteur et ouvrent leurs portières respectives. J'envisage une seconde la perspective de refuser de sortir avant de me dire que cela serait ridicule. Je m'extirpe donc hors du véhicule avec des envies de meurtre.

Jérôme Raspail secoue avec énergie les mains de mes parents.

— Heureux de vous revoir, Monsieur Cresp. Enchanté de faire votre connaissance, Madame Cresp.

Il fait mine de m'ignorer alors que je sais très bien que je suis la victime qu'il vise.

— Bonjour Théo, lance de son côté Éric d'une voix claironnante.

Je le gratifie d'un regard mauvais.

— Humph... salut, je grommelle du bout des lèvres.

Ma mère nous regarde tour à tour.

— Je ne savais pas que vous étiez amis, lapin !

Pour une agaçante raison, mes parents s'imaginent que toute personne de mon âge que je connais vaguement est forcément mon ami.

Le fait d'être appelé "lapin" devant tout le monde ne me fait par contre ni chaud ni froid. Ma dignité s'est évaporée depuis bien longtemps.

— Nous ne sommes pas amis, je proteste. Nous sommes... des connaissances du lycée.

Éric pince les lèvres, mais ne me contredit pas. Ce n'est pas comme s'il pouvait dire : "Non, je suis son grand frère chéri d'amour".

Je me demande comment mes parents réagiraient, s'ils apprenaient que je connais mes géniteurs. Nous n'avions pas du tout abordé cette question lorsque nous avions évoqué le sujet de mon adoption. Je suppose qu'ils trouveraient tout de même très louche le fait que les deux habitent dans la même minuscule ville qu'eux et que l'une d'entre eux soit la personne qui leur a vendu leur maison. Je n'ai rien contre Mme Jean. Elle m'a sauvé la vie, après tout. Mais elle est un peu bizarre et, pour être très honnête, elle me fait un peu peur. Je l'ai vue deux ou trois fois pendant les vacances, dans le même café que la première fois.

Plantée à côté de son fils, Mme Raspail essaie de sourire, mais a plutôt l'air d'avoir avalé un citron. Elle n'a pas vraiment apprécié d'apprendre que son mari l'avait trompé avec une future agente immobilière alors que leur bébé n'était même pas encore né. Ce que je peux d'ailleurs comprendre. Si Martin faisait ça...

Le visage magnifique de sa colocataire me traverse l'esprit et je sens mon ventre se nouer.

Les Raspail nous font entrer à grand renfort de politesse. Nous prenons place dans le gigantesque salon qui avait servi lors de mon "procès". Que de bons souvenirs...

Bien sûr, je me retrouve assis juste à côté d'Éric que j'entreprends aussitôt d'ignorer, ce qui n'est pas facile. Lui aussi a une odeur très forte. Mais, alors que celle de Martin me rend toute chose, la sienne me pique désagréablement le nez.

Quand on y réfléchit, Éric est en réalité le tout premier loup que j'ai rencontré, quelques minutes après notre arrivée à Gardelune. Je lui suis rentré dedans, au sens propre du terme. Et, déjà à ce moment-là, il s'était montré désagréable avec moi alors qu'il ignorait que je n'étais qu'un demi-loup.

Ma mère me fait les gros yeux, jugeant apparemment mon attitude peu polie. Je me redresse un peu.

— Éric, dit soudain M. Raspail d'une voix mielleuse. Et si t'y faisais visiter la maison et le domaine à Théo avant que nous passions à table ?

Le loup et moi 2 [terminée]Where stories live. Discover now