1. Rubrique Faits fondateurs (3/3)

17 5 5
                                    


Jeudi 15 décembre 2022

Après une nuit plutôt correcte, les ronrons de Naruto, tout près de ma tête, me réveillent. Ce chat doit être connecté à mon téléphone, car il pointe toujours le bout de son museau quelques secondes avant que l'alarme ne se déclenche. Je bascule ce dernier du mode avion en mode normal et découvre plusieurs messages d'Yves et Julien.

La victime de l'explosion a été identifiée, « c'est du lourd » d'après eux. Je me prépare en un temps record et prie pour qu'il n'y ait pas de problèmes de train aujourd'hui.

J'arrive au journal à neuf heures pétantes, et Julien et un autre pull informe me sautent dessus dans l'open space — pas au sens littéral, bien heureusement.

— La victime, Pierre Seradel, aurait des liens avec une organisation mafieuse locale, Aquilon. Il a purgé plusieurs peines de prison, son dernier séjour date d'il y a un an, et il vivait seul.

— Oh, oh, ça sent l'embrouille.

Julien n'arbore plus l'expression renfrognée qu'il me réserve depuis quelque temps, il sourit, même.

— À qui le dis-tu ! J'attends que l'on me communique les résultats des analyses des débris, mais ce serait vraiment une drôle de coïncidence si l'explosion était d'origine accidentelle.

— Je suis d'accord.

Yves passe la tête en dehors de son bureau à ce moment-là et nous invite à l'y rejoindre. Il semble encore plus en bazar qu'hier. Chaque surface plane déborde de feuilles volantes, de journaux, et de rapports. Le porte-manteau paraît sur le point de s'écrouler sous le poids de différentes vestes et chemises — je doute qu'il reste un seul vêtement dans l'appartement que le rédac'chef partage avec sa femme sur l'une des collines de Nice.

— Bonjour Viviane, Julien t'a briefé ?

L'excitation gagne tant notre patron qu'il se fend même d'un bonjour.

— Oui, je réponds avec entrain, emportée par leur enthousiasme contagieux. On s'éloigne du malheureux accident de chaudière à gaz, à mon avis.

— Probablement, mais vous le savez, pas de spéculations ! Les faits, rien que les faits.

Julien et moi nous regardons du coin de l'œil avec un petit rictus complice — ce leitmotiv pourrait être inscrit sur la pierre tombale d'Yves tellement il l'apprécie.

Mon sourire disparaît néanmoins lorsque j'entends sa phrase suivante.

— Je veux que vous alliez tous les deux à l'enterrement.

Bien que mon estomac se comprime dans ma poitrine, je ne dis rien. En un geste rassurant et maintes fois exécuté, je repasse mes cheveux sur la droite afin de découvrir la zone rasée sur le côté gauche de ma tête.

— C'est quand ? demande Julien sans remarquer mon trouble.

— On ne sait pas encore, précise Yves sur un ton plus doux.

Il m'observe par en dessous, et mon ventre se serre quand il m'ordonne de rester un instant après avoir libéré Julien.

— Viviane, ça va aller, pour l'enterrement ?

« Pourquoi tu m'y envoies quand même si tu t'inquiètes ? »

— Si je réponds non, j'ai le droit de ne pas y assister ? demandé-je, la gorge nouée.

— Bien sûr. Je ne veux pas te mettre dans une situation impossible. Je pense néanmoins que ton regard ce jour-là serait bénéfique. Tu as un don certain pour capturer et retranscrire à l'écrit les émotions.

L'ExplosionWhere stories live. Discover now