28. Robbie [11]

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Lundi 24 juillet 2023

Une semaine sans elle.

La semaine la plus longue de ma vie.

Plus longue même que le début de mon sevrage en taule. C'est somme toute assez similaire, tellement je suis intoxiqué.

Mon corps a d'ailleurs réagi d'une façon semblable : lorsque je suis sorti de son immeuble après notre rupture, j'ai vomi dans la rue. J'ai eu l'estomac en vrac pendant plusieurs jours ensuite.

C'était ma décision, je le sais. Pour son bien. Ça fait mal quand même.

J'ai bien conscience qu'elle n'a rien compris à ce qui lui est tombé sur le coin de la tête. Sans aucun signe avant-coureur. Durant notre discussion lundi dernier, j'ai décelé un éclat noir dans ses yeux. De la colère. Puis, très vite, un chagrin infini.

Cela me brise le cœur d'avoir brisé le sien, cependant c'est pour le mieux.

J'avais bien réfléchi et tout ce que je lui ai dit ce soir-là est vrai : je n'ai rien à lui offrir. Je ne peux que la tirer vers le bas. Avec mes revenus quasi inexistants, je peux rien faire. Pas de beaux cadeaux ou de chouettes sorties dans des restos un peu classes, pas de beaux voyages — comme les États-Unis qu'elle a mentionnés quand on a fêté mes vingt-et-un ans.

Elle dirait qu'elle s'en fout, et c'est peut-être la vérité aujourd'hui, mais pensera-t-elle toujours cela dans un an ? Deux ? Trois ?

Au-delà de ces considérations matérielles, il y a tout simplement le stress d'aller de mission d'intérim en mission d'intérim, si je trouve jamais de CDI. Pas de situation stable, donc, ce qui implique une impossibilité d'emprunter pour acheter un appart, par exemple.

Mon casier judiciaire, notre différence d'âge, la coke, mon trauma et ma famille dysfonctionnelle, ce n'est que la cerise sur le gâteau.

Viviane a d'ailleurs essayé de me rabibocher avec mon père, pour régler l'un de ces problèmes. C'est bien la preuve qu'elle attend plus de moi. Et elle a raison. Je n'ai jamais été assez dans la vie, pour personne.

Elle mérite un gars équilibré, stable, avec un bon job.

Voilà pourquoi je l'ai quittée.

Elle comprendra bientôt qu'elle est mieux sans moi. Elle me remerciera, même. Elle se souviendra de ces six mois de passion avec nostalgie, peut-être. Et elle finira par être d'accord avec moi : construire une vie entière ensemble n'était qu'une chimère.

Bien sûr, pour l'instant, tout n'est que douleur.

Elle hante chacun de mes pas, chacun de mes gestes.

Le manque d'elle me retourne les tripes et me coupe le souffle.

J'essaie de continuer à vivre de façon normale. Je me force à me lever chaque matin, à prendre une douche, à vaguement manger quelque chose. Pourtant je ne ressens rien. Je ne sens même plus le goût du café ou du chocolat dans ma bouche. C'est comme si le monde sans elle était sans couleur et sans saveur.

Brahim se montre inquiet pour moi. Quand je lui ai annoncé la nouvelle, il est tombé des nues, lui aussi. Il pensait sûrement que c'était elle qui finirait par me larguer, pas l'inverse.

— Mec, je te respecte, mais là, ta décision, c'est de la merde, a-t-il déclaré d'un ton sans appel. Sérieux, elle t'aime, tu l'aimes, je vois pas le problème.

J'ai essayé de lui expliquer que j'étais le problème, justement. Peine perdue. Depuis, il déploie des trésors d'imagination pour me sortir de ma léthargie : soirée pizza-bières-foot chez lui, concert live dans un pub, samedi après-midi à la plage avec ses enfants. Manque de pot, je n'apprécie pas le foot, la musique me rappelle trop Viviane, et ses gosses me font penser à l'enfance que je n'ai pas eue.

Je me sens si faible que j'ai même répondu aux derniers messages de ma mère et que je lui ai parlé de Viviane. Son mec du moment doit bien la satisfaire au pieu, car elle m'a appelée dans la foulée et a vraiment écouté mes explications — chose rare. Je pensais qu'elle allait me sortir des poncifs du style « une de perdue, dix de retrouvées ». J'étais loin du compte.

Elle semblait désolée pour moi et m'a demandé si j'étais certain d'avoir bien réfléchi. D'après elle, j'avais noirci le tableau et me dévalorisais tout seul : si Viviane voyait un avenir à notre relation, c'est que cet avenir existait. Comme elle était à l'écoute pour une fois, je me suis retenu de lui dire que j'allais pas suivre ses conseils relationnels compte tenu de son passif désastreux en la matière.

Lui parler m'a cependant fait un peu de bien. Elle m'a proposé de venir la voir à Marseille et comme je suis vraiment pas dans mon état normal ces derniers jours, je lui ai promis que je viendrai quand je soufflerai un peu niveau thunes.

En dehors de ces interactions avec Brahim et ma daronne, je me suis fait violence pour relancer quelques agences d'intérim — « c'est difficile de vous trouver quelque chose en plein été, revenez début septembre ».

Le reste du temps, je zone chez moi, avec la télé allumée pour combattre, en vain, le silence sans elle.

J'ai pris la bonne décision.

Un jour mon cœur approuvera aussi.

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