16. Robbie [6]

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Dimanche 19 février 2023

J'arrive pas à croire que je l'ai plaquée.

Moi.

Je pensais que c'est elle qui me jetterait comme une vieille capote, après quelques orgasmes supplémentaires.

C'était tout ce qu'elle attendait de moi, n'est-ce pas ? Des orgasmes de ouf ?

Je retire aucune fierté de ce courage dont j'ai fait preuve hier. Juste de l'étonnement.

Et je sais que le plus dur commence à présent : la phase où je dois me retenir de la contacter.

La phase pendant laquelle je ne dois pas craquer.

La première épreuve a consisté à ne pas revenir sur mes pas lorsque j'ai quitté son appartement la veille au soir. Lorsque j'ai pris la décision délirante de la plaquer.

J'ai hésité à me bourrer la gueule, ou pire... bien pire...

J'avais trop peur de faire une connerie, de replonger, alors j'ai appelé Tim. Comme il ne faisait rien de spécial, il est venu me tenir compagnie chez moi.

Tim a beau travailler, entre autres, pour un baron local, il est plutôt sérieux : très peu d'alcool, jamais de drogue, même pas de shit. Pile-poil ce dont j'avais besoin hier soir. Nous avons seulement partagé deux ou trois bières.

Des Chouffe, bien sûr. Ce qui m'a valu un pincement au cœur : j'ai remarqué que Viviane avait commencé à en acheter pour nos apéros chez elle. J'étais donc pas totalement insignifiant à ses yeux.

J'étais juste pas assez important pour qu'elle me mentionne devant sa meilleure amie ou son frère.

Je ne méritais pas qu'elle me traite ainsi, donc j'ai pris la bonne décision. C'est ce que j'ai répété maintes et maintes fois à Tim au cours de notre soirée.

— On avait aucun avenir ensemble, mec. On vient de deux mondes trop différents.

— Peut-être, pourtant t'es super jeune. Tu voulais pas juste t'amuser ? Elle est jolie et sexy, enfin, quand on aime le genre gothique.

— Bien sûr qu'elle est belle et sexy. Elle est... parfaite. J'ai jamais été aussi bien avec une fille, avant. Mais je sais que je suis un moins que rien, que je la mérite pas.

— N'importe quoi !

— C'est vrai, Tim. J'étais juste un plan cul régulier, un dirty secret. Je sais pas, elle devait avoir l'impression de faire quelque chose d'interdit, d'excitant. Tu vois, sortir avec un ancien détenu de vingt piges ?

— Je la connais à peine, mais je ne pense pas que ce soit son genre. C'était pas ça, Rob. Je vous ai côtoyés ensemble, je crois que tu lui plaisais vraiment.

— Bien sûr, qui n'aimerait pas ça ? ai-je déclaré en me désignant d'un geste de la main.

Je ne sais pas comment j'ai fait pour rigoler à cet instant-là. Tim a dû se demander la même chose si je peux me fier à la tête qu'il a tirée.

— N'importe quoi, mec. Et je plaisantais pas, on voyait qu'elle était bien aussi avec toi.

— Non, elle m'appréciait que pour le sexe, c'est certain. Et cela importe peu de toute façon : on vit dans deux mondes diamétralement opposés, nous deux ça pouvait rien donner. L'avoir plaquée là fait déjà masse mal, donc j'ose pas imaginer si on avait continué.

Ok, ok, a capitulé Tim dans un haussement d'épaules. Écoute, pour te changer les idées, je peux demander à Léa si elle a d'autres copines à te présenter. Ou peut-être Vanessa est toujours intéressée.

Mon estomac s'est comprimé d'une manière curieuse et désagréable face à cette proposition : il faut croire que la notion de coucher avec quelqu'un d'autre que Viviane me semble impensable pour l'instant.

Ouais, ok, dans quelque temps peut-être.

On a discuté encore un moment, cependant Tim est rentré chez lui assez tôt — il devait vérifier que la transaction de l'un de ses clients sur le dark web s'était déroulée sans anicroche.

Je suis resté comme un con, tout seul dans mon studio pourri.

Un lit mezzanine comme celui d'un ado dans sa chambre d'enfant, un canapé défoncé en dessous, une minuscule table et une kitchenette pas fonctionnelle du tout. Voilà tout ce que je peux m'offrir après des années de trafic de drogue et un an en taule.

Pas étonnant que Viviane n'ait parlé de moi à personne...

Et encore, elle est jamais venue ici, et elle connait pas la moitié de mes faits d'armes avant la prison...

J'ai essayé d'éloigner ces pensées déprimantes en matant une merde à la télé, néanmoins mon cerveau fatigué revenait sans cesse vers des longs cheveux, un rire cristallin et des courbes à se damner. Vers les réactions de son corps quand je la touche. Vers tout ce qu'elle m'a laissé lui faire lorsque l'on était ensemble.

Vers ce qu'elle a autorisé le weekend dernier, surtout. Elle s'est trouvée assez en confiance pour qu'on tente le truc que la plupart des meufs ne tentent jamais.

Pourquoi, si elle se sentait si bien avec moi, me gardait-elle caché, comme un secret un peu honteux dont on ne parle à personne, et surtout pas à ceux dont on est le plus proche ?

À force de penser à son corps entrelacé avec le mien, j'ai dû prendre une douche froide, comme un débile, pour me calmer.

J'ai eu envie de pleurer, après.

Aujourd'hui, depuis mon réveil vers midi, je me retiens pour ne pas la harceler de textos.

Car elle me manque déjà.

Et je regrette ma décision.

« Misérable con » tourne en boucle dans ma tête.

Je me suis envoyé un coup de pied au cul et suis allé courir, ce qui n'a pas arrangé grand-chose, car le footing n'est pas la meilleure discipline pour échapper à ses pensées d'amoureux transi.

Heureusement, je me trouve à présent chez Brahim pour l'aider à peindre son nouvel appartement. Je lui ai tout raconté — enfin, presque tout, car certaines choses doivent rester entre les draps noirs de Viviane.

Tandis que je passe un rouleau dans la chambre des enfants de mon collègue, je sens son regard sur moi. Je soupire et me retourne vers lui.

— Brahim, ça va aller, t'inquiète.

— Ok, ok, désolé ! Je vois bien que tu es contrarié.

« Contrarié ? J'ai le cœur brisé, tu veux dire. »

— C'est tout frais, c'est normal. Ça va vite passer. Je me suis jamais fait d'illusions, je savais bien qu'on filait droit dans le mur.

— La vie nous surprend, parfois.

La vieille salopette à peine trop serrée qu'il a enfilée pour effectuer les travaux rend encore plus incongrue cette discussion sérieuse.

— Dans tes rêves, mec. C'est pas un conte de fées ou un Disney, où la princesse rencontre le petit délinquant. « Ils surmontent leurs problèmes, vivent heureux et ont beaucoup d'enfants ». Ça existe pas, ça, dans la vraie vie.

— Ouais, je sais pas. Parfois, je me dis qu'il vaut mieux y croire un peu, sinon, à quoi bon ?

Je veux pas y croire. La chute serait encore plus rude.

— Désolé pour toi, en tout cas, Rob, reprend-il avec sa bienveillance habituelle.

— Merci, mec. Et continue à peindre. On va pas y passer la nuit.

Le rire soyeux de Brahim me réchauffe le cœur l'espace d'une seconde ou deux.

Cependant, le chemin pour oublier Viviane se dévoile à peine, long et tortueux.

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