12. Mensonges (1/2)

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Dimanche 15 janvier 2023 (Viviane)

Nous sommes allongés sur le tapis du salon — je ne saurais dire comment et quand nous sommes arrivés là — un plaid jeté sur nos corps nus tout juste séparés l'un de l'autre, quand le téléphone de Robbie vibre à plusieurs reprises.

Il grommelle, dépose un baiser sur ma tempe et se lève pour le récupérer dans l'entrée.

— Yo, Tim, la forme ?

– [...]

— Quoi ? Non, je ne suis pas essoufflé !

— [...]

— Oui, voilà, j'ai couru pour décrocher, c'est juste ça. Et tu pourrais pas envoyer des textos ou des WhatsApps, comme tout le monde en 2023, non ?

— [...]

Old school, ouais, ça, c'est certain. On dirait que t'as soixante balais, mec.

Il m'arrive alors un truc bizarre : je glousse comme une dinde. Je glousse ! Je ne me souvenais même plus que c'était l'une des réactions possibles du corps humain.

Je me redresse sur mes coudes et contemple mon nouvel amant avec curiosité tandis qu'il continue son échange avec ce « Tim » — échange que je n'écoute plus. Je m'attarde un instant sur sa silhouette sèche et musclée, cependant mes pensées dérivent vite vers un autre sujet. Si le sexe s'avère meilleur chaque fois, je suis surtout étonnée de réaliser qu'une facilité, une sorte de complicité, même, existent aussi dans nos conversations.

Je me sens bien avec lui.

Bien qu'un point tiraille à l'intérieur de mon ventre devant ce fait, la brume du plaisir récent m'empêche de l'enregistrer et d'en analyser les raisons.

Robbie, qui a réussi à enfiler son caleçon entre-temps, clôt sa discussion avec son ami, et me rejoint sur le canapé, où je me suis assise, entortillée dans le plaid.

— Désolé, chaton, c'était mon pote, Tim, s'excuse-t-il en posant une main sur ma cuisse découverte. Sa meuf chante dans un groupe et ils se produisent au Duke jeudi, tu sais, le bar pas loin de chez toi ?

— Oui, je vois. Pas mal comme endroit, beaucoup d'Anglo-saxons — enfin, c'est le cas de nombreux bars à Antibes.

La ville comporte en effet une large population anglo-saxonne, jeune et dynamique, qui travaille sur les bateaux de luxe du port de plaisance.

— Ouais, c'est ça. Bref, on peut y aller, si ça te dit. Le groupe est ok, c'est de la pop, du rock, avec des vieux trucs mythiques et quelques trucs plus récents.

— Ok, très bien.

— Cool, dit-il dans un haussement d'épaules. Tu peux proposer à ton frère et à tes potes, si tu veux.

Une chape de plomb tombe à l'intérieur de moi, mon estomac se comprime : je ne suis pas sûre de me sentir prête pour le présenter à Roman, Fitz ou Claire.

— Ah, oui, je vais voir, répondé-je sur un ton que j'espère neutre.

— Enfin, si tu veux pas, je comprends, pas de souci.

Il a un mouvement de recul et sa main quitte ma cuisse. Ma gorge se noue — sa réaction ne trompe pas, il a vraiment l'impression continue de n'être qu'un moins que rien et donc ne t'intéresser personne.

— Pas de souci, je vais proposer à ma meilleure amie, Claire.

J'essaie de m'autopersuader que je vais leur en parler, que ce n'est pas un mensonge éhonté. Je tente de me persuader que je suis différente des autres, que je suis différente de ceux qui l'ont rejeté dans sa vie.

— Eh, je commence à avoir faim, embrayé-je pour changer de sujet. Mon frigo est vide, comme toujours. Je me disais qu'on pouvait descendre à la plage et acheter un sandwich ou un truc du genre.

— Ok, nickel, bonne idée, chaton, accepte-t-il, le visage illuminé à cette perspective.

Il se penche pour m'embrasser, et je dois me faire violence pour ne pas approfondir le baiser et nous entraîner dans un nouveau round. Il pousse un petit soupir et, quand il se lève pour s'habiller, un sourire en coin est accroché à ses lèvres. Nous avons de toute évidence du mal à résister, autant l'un que l'autre, et en avons tout à fait conscience.

Un soleil froid et éclatant nous accueille sur la plage du Ponteil, à cinq minutes à pied de chez moi — l'un des privilèges d'habiter en plein centre d'Antibes.

Un déjeuner et une balade à la plage, un dimanche d'hiver... Ça fait tellement vieux couple.

Le silence s'installe entre nous au début, et je me demande ce qu'il m'est passé par la tête quand je lui ai proposé ça. Néanmoins, très vite, nous nous lançons dans un jeu passionnant : nous imaginons la vie des gens qui défilent devant le banc sur lequel nous dégustons nos pan bagnats, face à la mer et aux remparts d'Antibes.

— Je pense qu'il est avocat ou notaire. Il possède la mèche bien entretenue d'un avocat.

— « Bien entretenue », n'importe quoi ! commenté-je en gloussant, encore. C'est pas un caniche qu'on emmène au salon de toilettage. Cela dit, c'est possible, car lui et sa chère et tendre sont bien sapés pour la balade du dimanche après-midi. Ceinture Hermès pour lui et sac Vuitton pour madame.

— Tu t'y connais.

Son ton reste neutre, pourtant il me regarde par en dessous, curieux. Avant de répondre, j'essaie d'avaler avec élégance une bouchée de mon sandwich, ce qui n'est pas une mince affaire avec ce monument de la culture niçoise.

— Ouais, j'aime la mode, surtout l'histoire de la mode et celle des grandes maisons de luxe françaises.

— Cool.

Je le sens qui se referme à ce moment-là : pense-t-il que je suis difficile à contenter et que j'ai des goûts de luxe ? Pense-t-il qu'un simple mécanicien n'arrivera jamais à me satisfaire ? Ou songe-t-il que les revenus d'un trafiquant de drogue pourraient me convenir à la perfection ?

Les trois à la fois, sûrement.

— Oh, et voilà le parfait couple de retraités, m'écrié-je pour changer le sujet. Je suis certaine qu'ils sont en train de parler de leurs petits-enfants.

— S'ils en ont. Je pense plutôt qu'ils n'ont jamais eu d'enfant. Y a quelque chose d'indéfinissable, je peux pas mettre le doigt dessus avec certitude, mais on sent qu'ils n'ont été que deux la majeure partie de leur vie.

Je le contemple tandis qu'il mentionne une poignée de détails pour appuyer ses dires. Le soleil dépose des reflets dans ses cheveux blonds, et des mini taches de rousseur se révèlent au-dessus de ses pommettes aiguisées. Si j'étais peintre au lieu d'écrivaine, j'essaierais de saisir sa beauté en cet instant.

Je me promets d'essayer de le faire avec des mots.

Nous restons une heure de plus, jusqu'à ce que le froid nous chasse.

Chez moi : un autre corps à corps, un apéro léger et un bol de soupe, un moment de flottement quand il a fallu décider s'il dormait là ou pas, puis un corps à corps, encore, et sa peau endormie contre la mienne toute la nuit.

L'ExplosionWhere stories live. Discover now