6. Post-coïtum

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Vendredi 6 janvier 2023

Mon réveil me tire du sommeil sans ménagement, et je grommelle, comme chaque matin. Quelque chose diffère néanmoins aujourd'hui : l'un des bras de Robbie se pose sur mon ventre et il se redresse sur l'autre pour me regarder.

Cheveux savamment hirsutes et yeux brouillés de sommeil, il est bien sûr superbe, alors que je dois ressembler à un panda avec mon maquillage qui a coulé et mes longues mèches emmêlées.

Parfaite injustice.

— Salut, princesse. Bien dormi ?

Le petit nom pourrait sembler un peu moqueur, cependant je ne décèle aucune malignité dans ses yeux, juste la même révérence qu'hier soir quand nos corps se sont unis pour la première fois.

Je hoche la tête et espère pouvoir m'éclipser sans avoir à ouvrir la bouche.

— Tu ne parles pas à cause de la potentielle mauvaise haleine du matin ?

« Loupé ».

— Ouais, avoué-je, les lèvres pincées.

Il s'esclaffe et dépose un bisou sur mon front.

— Va procéder à tes ablutions, princesse.

Là, son insolence ne fait aucun doute, et je le repousse avec une petite tape sur son épaule pour m'extraire de ses bras.

Tandis qu'il se cale contre mon oreiller, je me lève, un peu gênée par ma nudité. Je suis toutefois peu encline à déclencher à nouveau son hilarité en me couvrant comme une vierge effarouchée.

Je lui suis néanmoins reconnaissante de plaisanter durant cette étape tant redoutée : le premier matin. Premier matin qui survient très vite dans notre cas, puisque nous avons dérogé au sacro-saint « on ne couche pas le premier soir ». Pour ma tranquillité d'esprit — déjà bien entamée — on va dire que c'était notre troisième rendez-vous, si l'on compte notre rencontre au garage.

Je repousse aussi loin que possible dans mon cerveau ce que j'ai entendu pendant son cauchemar dans la nuit... Après tout, ne pas parler de ce qui me ronge, ça me connait...

Une fois dans ma salle de bains toute noire, je grimace devant mon reflet et me hâte pour essayer d'arranger les choses. Je compte me laver plus tard car je ne me rends pas au journal aujourd'hui, et ai donc un peu plus de temps. J'enfile alors une culotte et une robe-débardeur en coton bleu marine, attrapées au préalable dans mon placard situé entre la chambre et la salle d'eau.

Quand je retourne dans la chambre, il finit de s'habiller.

— Tu peux te doucher, si tu veux.

— Non, ça va, merci. Je me douche le soir car après la journée au garage, c'est indispensable.

J'acquiesce et me dirige, suivie par Robbie, vers ma prochaine priorité : la machine à café.

Dans la cuisine baignée des rayons du soleil s'étire un petit moment inconfortable pendant lequel nous n'osons plus nous regarder dans les yeux. Ce que nous avons partagé pour la première fois cette nuit s'accommode plus de la pénombre que de la franche lumière du jour...

C'est encore lui qui nous sauve de cet instant délicat, alors que nous nous asseyons sur le canapé avec nos tasses et des yaourts au granola — seul élément de petit-déj potable que je possède.

— C'est une vibe gothique-slash-punk très intéressante que tu as là, chaton. Le vernis noir aux mains et aux pieds, le côté de la tête rasée, la multitude de piercings, et ce superbe tatouage, dit-il avec un geste vers mon bras gauche peint d'un enchevêtrement de roses noires avec leurs tiges et épines.

— Merci, les tiens aussi sont top. Surtout l'arbre du Gondor dans ton dos.

Ses joues se teintent d'une jolie couleur rose.

— Ouais, hum, le bouquin m'a aidé dans des périodes pas très cool de ma vie, avance-t-il sur un ton prudent. J'ai voulu la garder tout près de moi pour toujours, pour me donner de la force, et pour ne jamais oublier, aussi. Alors tu peux me traiter de gros nerd, je m'en fiche.

Il ajoute un clin d'œil à la fin de sa tirade, pourtant je ne suis pas dupe : cette explication vague et succincte lui a coûté. Et me donne envie d'en savoir encore plus sur lui. Toute ambition de le taquiner a en tout cas disparu.

— Bah, je suis une nerd aussi, t'inquiète. J'ai reconnu l'arbre, après tout. Alors que, bon, le moment ne s'y prêtait pas du tout...

Là, je suppose que ce sont mes joues qui deviennent roses. Pour lui prouver ma nerditude et éliminer ma gêne, mon chat apparaît à cet instant — les ébats bruyants de la veille et la présence inconnue dans mon lit avaient fait fuir ce grand courageux. La faim le pousse probablement à sortir de sa cachette.

— Ouais, donc, voici Naruto. CQFD pour le côté nerd, tu vois.

Il émet un minuscule rire et essaie d'attirer le félin vers nous, cependant Môssieur le Chat continue vers la cuisine en se dandinant.

— Je valide le prénom, en tout cas.

— C'était adapté quand il était petit, précisé-je, il faisait plein de bêtises, comme son homonyme. À cinq ans, il s'est un peu calmé.

Il hoche la tête et se lève ensuite dans un soupir.

— Je dois y aller, je vais être en retard au garage. Remarque, avec mon contrat qui se termine bientôt... relève-t-il dans un haussement d'épaules, sans finir sa phrase.

—Oh, ok.

Je me lève aussi et on se tient l'un en face de l'autre, sans trop savoir comment se comporter — le cliché du moment gênant où on doit se dire au revoir après une première nuit de sexe pas préméditée du tout. Il avance sa main vers ma joue et s'arrête à quelques centimètres sans la toucher.

— Je t'appelle, ok ?

— Ouais, cool.

Je grimace dans ma tête en le raccompagnant à la porte, où on se regarde encore sans rien dire, comme deux débiles.

— Bonne journée, alors, je finis par ânonner pour abréger nos souffrances.

— Ouais, toi aussi.

Il effleure à peine mes lèvres des siennes et franchit la porte sans un regard en arrière.

Alors que j'essaie tant bien que mal d'avancer sur mon article pour le lendemain, je passe la majeure partie de la journée à me demander comment me comporter à présent. Et à penser aux sensations incroyables que j'ai ressenties sous les caresses et les baisers de Robbie.

Et donc à hésiter à lui écrire.

Dois-je lui envoyer un message dès aujourd'hui ? Ou dois-je attendre qu'il le fasse ? Puis-je lui proposer sans détour que l'on se revoie ?

Mon hésitation me fait grincer des dents. En 2023, une fille peut faire le premier pas, non ?

Je l'ai déjà fait la veille, de toute façon. Je perçois mes joues qui s'échauffent à ce souvenir.

Quand je l'ai embrassé, je me suis sentie vivante pour la première fois depuis six mois. J'ai toutefois l'impression de trahir mon père à nouveau, car je pense moins à lui depuis que j'ai rencontré Robbie.

De surcroît, je ne connais pas grand-chose de lui, seulement qu'il a vingt ans, qu'il semble aimer les mêmes œuvres que moi et qu'il a fait de la prison pour trafic de drogue. Ce passé se trouve-t-il derrière lui ?

Les cicatrices de son torse et son cauchemar dans la nuit ne me disent rien qui vaille : suis-je en train de me mêler à une âme encore plus torturée que la mienne ?

Je n'ai vraiment pas besoin de cela en ce moment...

Pourtant, la tentation est trop grande et mes principes s'envolent : de guerre lasse, je lui écris vers 20 h, et nous décidons de nous revoir le lendemain soir.

Si l'enfer existe, je m'y dirige tout droit et sans détour.

L'ExplosionWhere stories live. Discover now