Chapitre 25 : Jessica

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L'excitation est à son comble. Nous sommes à quelques minutes d'entrer dans le mythique stade Maracana où se déroule la cérémonie d'ouverture des jeux. La fête a déjà commencé, les premières nations par ordre alphabétique ont fait leur entrée dans l'arène.

J'attends avec Shirley, Jemima et les autres membres de la délégation d'athlétisme notre tour. Émily est un peu à part elle pense certainement que sa qualité de porte-drapeaux lui impose de ne pas se mélanger avec nous. En même temps, je préfère, car là, j'ai juste envie de tirer sur ses cheveux platine et de lui coller mon poing dans la figure.

— Ces robes sont vraiment horribles et en plus elles grattent, se plaint Shirley en parlant de notre costume.
— C'est dégueulasse on se tape la robe rouge horrible. Tu as vu la tenue des Français ? Eux au moins ils ont l'air de quelque chose ! ajoute Jemima.

— Que veux-tu les Français viennent du pays de la mode et des grands couturiers. Eux ils ont Coco Chanel, nous notre icône de la mode c'est la reine avec ses tailleurs pastels et ses chapeaux improbables...

J'essaye de détendre l'atmosphère et surtout ne pas penser à Emily. Et encore moins à un certain nageur qui doit se trouver quelque part dans cette foule.

On nous fait signe d'avancer. Une fille sur un vélo coloré encore plus ridicule que nos tenues s'installe devant notre petit groupe. Un panneau annonçant Royaume-Uni en Portugais tournoie lorsqu'elle pédale. Emily semble un peu décontenancée de ne pas ouvrir totalement la marche, mais elle se redresse et installe l'Union Jack devant elle.

C'est parti ! Notre petit groupe, enfin pas si petit que ça se met en route. Nous empruntons un long tunnel de béton dans lequel nous parviennent déjà les clameurs de la foule. Mon cœur bat plus vite qu'il ne l'a jamais fait. L'adrénaline envahit mon corps.

Shirley attrape ma main.

— On y est ma belle, profite ! Quand on sera vieilles et ratatinées, on se souviendra de ces quelques secondes avec nostalgie !

Je souris à m'en décrocher la mâchoire. Je sais qu'elle a raison. Un jour je raconterai ce moment à mes enfants, peut-être même à mes petits-enfants.

Au moment où les haut-parleurs annoncent notre arrivée, le stade reprend avec ferveur le nom de notre pays. Je ne sais plus où donner de la tête, c'est une explosion de couleurs, de sons, qui nous entoure. Certains athlètes de notre délégation prennent des photos ou filment. J'en serais bien incapable, je suis comme sur un nuage. Mes jambes avancent, mais je ne sais plus comment je m'appelle, ce que je fais là. L'euphorie s'est emparée de mon être, et dire que la compétition n'a pas encore commencé !

Les quelques secondes où nous descendons l'allée centrale passent bien vite, et on nous demande de nous regrouper d'un côté de celle-ci, là où de nombreuses autres délégations attendent déjà étant donné que nous sommes parmi la fin de l'alphabet.

Je m'aperçois bien vite que la délégation américaine est déjà présente. Étant donné que c'est le nom portugais qui prime, les Estados Unidos sont rentrés bien avant nous. Je m'en veux de faire attention à cela, et j'essaye de me reconcentrer sur la suite de la fête. Un podium au centre du Maracana a été installé. Des stars locales de la chanson y jouent de la samba. Le spectacle me fait d'ailleurs penser à un immense carnaval coloré. Nous ne pouvons nous empêcher d'avoir envie de danser. Bientôt la liesse emporte toute la délégation et nous rions comme des gamins.

Un peu plus tard, l'ambiance se fait plus solennelle. Le stade est plongé dans le noir. Je comprends que la flamme va bientôt arriver. Qui l'allumera pour la durée des jeux ? Plusieurs noms ont circulé, mais personne n'a la réponse. Alors que suis sur la pointe des pieds pour essayer d'apercevoir quelque chose (maudis soit les basketteurs, volleyeurs, perchistes ou les Néerlandais en général) je sens une main se poser sur ma hanche.

Je me retourne brusquement vers l'individu qui se permet un tel niveau de familiarité et découvre surprise deux prunelles vertes auxquelles j'ai si souvent pensé ces derniers jours.

— Jessica, murmure-t-il à mon oreille.

Ses mains ne m'ont pas lâchée, et je ne lui réponds rien. Ma bouche forme un « O » de stupéfaction. Mon cœur reprend sa course effrénée d'il y a quelques minutes, mais pour une tout autre raison.

— Qu'est-ce que tu veux Aaron ?

Il m'observe, mais ne me répond pas tout de suite. Il dégage une mèche qui me barre le visage, et la dépose délicatement derrière mon oreille. Son pouce s'attarde sur ma joue, la ligne de ma mâchoire. Il me détaille comme s'il me voyait pour la première fois.

— Aaron qu'est-ce que tu veux ? répété-je.

— Toi, affirme-t-il simplement.

Mon cœur rate un battement.

— Jess, Jess, regarde c'est Gustavo Kuerten ! me hurle Shirley.

Ma bulle éclate. J'avais complètement oublié où nous nous trouvions. Je crois qu'Aaron a un peu cet effet sur moi. Le Maracana, Rio, la cérémonie d'ouverture. Je me dégage de son étreinte, et fais mine de m'intéresser au triple gagnant de Roland-Garros qui s'avance en boitillant légèrement à travers le stade. En vérité, il pourrait se mettre à faire la roue, cela me serait bien égal. J'ai juste besoin de m'éloigner d'Aaron pour quelques secondes.

Lui apparemment ne l'entend pas de cette façon. Il se poste juste derrière moi. Je sens son souffle dans mon cou, ma peau frissonne à l'idée qu'il se trouve là, à quelques centimètres de moi. Je suis en colère également, il ne m'a donné de nouvelles pendant deux jours, et voilà qu'il se pointe et me lâche cette bombe. J'ai des milliers de points à éclaircir avec lui. Le premier : toute cette histoire avec Emily.

Il pose sa main sur mon épaule, un geste presque paternaliste, mais qui ne me laisse forcément pas de marbre. Je sais qu'il a senti mon corps se crisper, mais je ne me retourne pas. Je fixe mon regard sur la flamme qui change de mains, quittant celles d'une athlète brésilienne que je ne connais pas, pour passer dans celles de son dernier relayeur : Vanderlei Cordeiro. Il grimpe les quelques marches qui le séparent de l'énorme réceptacle qui accueillera le feu olympique pour les prochains jours. Il l'allume enfin, et le stade vibre de joie. Je sens la main d'Aaron glisser lentement sur mon bras. Je me retourne.

Le feu qui embrase maintenant toute la structure entourant la flamme olympique se reflète dans ses iris. Lui, n'a que faire du spectacle environnant, il n'a d'yeux que pour moi.

— Je suis désolé. Je me suis comporté comme un con.

— Non tu crois ? ricané-je mal à l'aise face à cette situation.

— Jessica, je crois que toi et moi on a une longue discussion qui nous attend, mais ce n'est ni le lieu ni le moment.

Je suis d'accord avec lui sur ce point. Je me vois mal discuter de ça, là, au milieu de milliers d'autres personnes, et avec Emily à quelques mètres seulement.

— Par contre il y a quelque chose que je vais faire, car je ne veux plus attendre plus longtemps.

À cet instant le ciel s'embrase. Un énorme feu d'artifice explose sur le toit du stade. Le bruit des pétards, l'odeur des fusées qui prennent feu, tout cela n'est qu'une vague sensation. Car au moment où le monde a les yeux tournés vers le ciel, les miens sont rivés à ceux d'Aaron. Au moment où les nations du monde entier célèbrent le sport et ses valeurs, les lèvres d'Aaron se posent sur les miennes. 

Sur la ligne : une romance olympiqueUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum