Chapitre 28 : Aaron

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Je suis dans ma bulle. Comme toujours lors de compétition je m'enferme dans cet endroit bien à moi où rien ne peut m'atteindre. Ma concentration est totale... Ou presque...

Depuis hier, des images de notre baiser dans ce mythique stade du Maracana ne me lâchent pas. Mais contrairement à ce que l'on aurait pu penser, elles ne me déconcentrent pas. Je dirai même qu'elles me portent dans une euphorie encore plus grande. Je me sens invincible. Et sentiment encore plus étrange, j'ai une nouvelle motivation pour ces courses : je veux que Jess soit fière de moi. J'ai envie de gagner ces médailles pour elle. Pour voir son regard ambré s'éclairer de fierté.

Traitez-moi d'arrogant ou de prétentieux, cela m'est bien égal. Je vais gagner ces courses, je le sais.

Je rentre dans l'arène, je sais que je suis attendu au tournant. Ils sont nombreux à rêver de dérober mon titre. Je croise le nageur chinois. Les rumeurs annoncent qu'il serait dopé. Mais encore une fois, les rumeurs sont les rumeurs, je suis bien placé pour le savoir. Dopé ou pas, je vais le battre.

Je sens l'agitation autour de moi, les photographes avec leurs téléobjectifs n'ont d'yeux que pour moi. Le moindre de mes gestes est épié. Enlever mon peignoir, geste anodin et limite ennuyeux, devient pour eux presque un évènement.

Je ne fais pas attention à la foule qui attend fébrilement le début de la compétition. Je m'avance vers le plot n° 3. Mon entraîneur vient me donner ses dernières recommandations. Quelles qu'elles soient, elles n'ont aucune importance. Je ne lui ai jamais avoué que je ne les écoute jamais. Je suis trop concentré à cet instant. Il pourrait me parler en mandarin que je ne m'en apercevrais même pas.

Je continue ma routine, positionnant mes lunettes sur mon visage. Je grimpe sur le plongeoir. Quelques secondes plus tard, il est déjà temps de se mettre en position. La ligne d'eau face à moi est calme. Mon regard se fixe sur l'onde à peine troublée par le système de filtration de la piscine. Les bruits des spectateurs ne sont qu'un bourdonnement à mes oreilles. Le seul son que je laisserai passer sera celui du top départ.

Son visage apparaît. Je vois ses yeux couleur whisky, ses lèvres pleines, ses pommettes qui rosissent quand elle est embarrassée. Je me demande bien quelle couleur elles peuvent prendre dans des circonstances plus... Ce n'est pas le moment de penser à ça ! Je dois me concentrer sur la course. Je secoue la tête comme si cela pouvait m'aider.

J'entends enfin le top départ. D'une poussée puissante je m'élance. Mon corps fend l'onde et me voilà dans mon élément. Mes bras, mes jambes se mettent en action et bougent de toutes leurs forces. Je remonte vers la surface et aspire une goulée d'air. Mes gestes sont automatiques, maintes fois répétés depuis des années. Je nage comme je respire. C'est vital pour moi.

J'arrive au bout du bassin et amorce ma bascule. J'en profite pour jeter un coup d'œil en direction du chinois. Il me talonne de près. Je prends appui sur le mur de la piscine et je me projette le plus loin possible. Là encore, mes gestes sont précis. Je vois le bout de la piscine se rapprocher, plus que quelques mètres. Encore quelques battements de pieds, quelques mouvements de bras. Je touche enfin le mur. Mon premier réflexe est de tourner la tête vers le tableau d'affichage : Deuxième meilleur temps.

Merde ! Je ne suis pas habitué à ça. On a beau être en qualifs, je dois être le meilleur. Deuxième ce n'est pas ce que je veux ! En plus derrière ce connard de chinois.

Je sors du bassin la rage au ventre. Mon entraîneur approche. Qu'il ne vienne pas m'emmerder celui-là parce que je ne suis pas d'humeur.

— Pas mal Aaron, me dit l'imbécile.

Je ne prends même pas le temps de lui répondre. J'attrape ma serviette et m'essuie. Je vais pour repartir dans les vestiaires, mais quelque chose, une sorte de magnétisme me pousse à lever les yeux.

Elle est là.

Mon ange. Dans les tribunes, elle est là et elle me sourit. Toute la colère que je peux contenir s'évapore devant ce visage souriant qui n'a d'yeux que pour moi. Et moi aussi je souris. Comme un abruti. Je viens de rater ma course, et je souris. Les journalistes vont s'en donner à cœur joie. D'ailleurs, je lui fais un petit signe de la main et ils ne leur en faut pas plus pour qu'ils se retournent tous vers la tribune, se demandant certainement à qui je fais coucou.

Je suis obligé de partir pour laisser la place aux nageurs de la série suivante. J'ai une nouvelle qualification dans une demi-heure pour le relais.

Je rejoins Tom dans les vestiaires.

— Eh bien, moi qui croyais que tu allais être furieux, fait-il remarquer.

— Je suis furieux.

— Ah bon ? Avec le sourire que tu décroches, j'ai un peu de mal à te croire. Attends ! J'ai compris ! Elle est là c'est ça ? Putain ! Mon vieux ! Tu es vraiment dans la merde ! Tu es amoureux c'est ça ?

Là tout de suite, j'ai envie de mettre mon poing dans la tronche de cet imbécile que j'appelle ami. Si je n'avais pas autant besoin de mes bras dans la prochaine heure, et lui de sa gueule en un seul morceau pour ce relais, je crois que je me laisserais tenter. Mais ce qui m'énerve le plus, c'est qu'il a certainement raison. Je suis en train de tomber amoureux.

La série pour le relais se passe à merveille. Je crois que le fait de la savoir là à me regarder me met un peu la pression. J'ai envie de l'impressionner. Et ça marche ! Lorsque je sors du bassin, même avec la distance, je vois ses yeux qui pétillent. J'ai l'impression d'être un putain de gladiateur qui vient de remporter tous les trophées dans l'arène.

J'ai vraiment hâte de la retrouver, du coup je me change aussi vite que l'éclair. Mon entraîneur vient me voir, je sais déjà de quoi il va vouloir me parler avant même qu'il n'ait ouvert la bouche.

— Il y a des journalistes qui aimeraient un commentaire.

— Pas aujourd'hui, réponds-je sur un ton qui ne laisse pas de place à la discussion.

— Ils insistent, il faut bien que tu leur donnes quelque chose.

— Dis-leur que je leur parlerai lorsque j'aurai l'or autour du cou.

Il fait mine de protester mais mon regard noir lui fait ravaler tout ce qu'il allait dire.

Je me précipite en dehors des vestiaires en espérant que les journalistes ne m'attendent justement pas là. Et elle ? Est-elle toujours dans les tribunes, ou est-elle descendue ?

Je ne tarde pas à trouver la réponse. Même de dos, je la reconnais instinctivement. Ses cheveux sont noués en chignon, et je rêve déjà du moment où je vais le défaire pour passer mes doigts dedans.

Elle ne m'a pas entendu arriver. Je l'enlace dans son dos. Je sens ses muscles se contracter sous mon étreinte, c'est pourquoi je lui murmure à l'oreille.

— C'est moi.

Instantanément elle se relâche et se retourne.

Elle sent bon la pêche, et ses lèvres brillent comme une gourmandise. Je ne peux attendre plus longtemps, et je m'empare de sa bouche.

C'est la meilleure des récompenses. Elle gémit légèrement, et j'en profite pour prendre possession de sa langue avec la mienne. J'ai vaguement conscience qu'il y a du monde autour de nous, mais je ne peux pas m'en empêcher. Nos langues entament une danse sensuelle, et mon sang se met à bouillir dans mes veines. Je veux plus. Je veux caresser sa peau, la voir rougir lorsque je vais la mordiller. Je veux lui arracher des soupirs, l'entendre gémir mon nom. Je veux la dévorer tout entière, mais certainement pas dans le hall d'entrée de la piscine du village olympique.

— Viens, on va chez moi.

Elle ne trouve rien à redire à ma suggestion. Qui n'en est pas vraiment une j'en ai conscience. Elle rougit délicieusement, et je sais qu'elle pense à la même chose que moi. Ce soir, nous allons courir pour une très belle médaille.

Sur la ligne : une romance olympiqueWhere stories live. Discover now