VI

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Les jours ont passé et Reagan et moi ne nous sommes pas adressé la parole depuis trois jours. Il fallait bien avouer que je donnais mon maximum pour l'éviter. J'avais passé la totalité de ma journée enfermée dans ma chambre pour ne pas croiser mon demi frère. Assise sur mon lit, je trainais sur ma page d'accueil Facebook. Quelqu'un toqua à ma chambre et une feuille se glissa dessous la porte. Je me levais et saisissais le bout de papier. Un seul mot y était écrit, en lettres capitales: "BONJOUR". Je ne connaissais pas cette écriture, mais je savais très bien que ce mot ne pouvait provenir que d'une seule personne: Reagan. Je renvoyais la feuille sans répondre. À quoi jouait il ? N'avait il pas remarqué que je ne voulais plus lui parler ? Je m'asseyais contre la porte, les genoux contre la poitrine. Et lorsque le papier revint de mon côté, de nouveaux mots étaient inscrits. "Tu sais, la moindre des choses quand on te dit bonjour c'est de répondre." Je ne pu m'empêcher d'esquisser un léger sourire malgré ma colère à son égard. Il n'aurait pas pu simplement me demander pardon ? Après une courte hésitation je pris un stylo et je me contentai de répondre par un seul et unique mot. Un mot de cinq lettres seulement. Un mot qui venait de lui, mais que je comptais bien m'approprier comme il s'était approprié des miens ces temps ci. Le premier mot qu'il m'avait adressé en arrivant ici. "Askip". Je glissais la feuille sous la porte. Il ne me répondit rien, mais je sentais toujours sa présence derrière la porte. Et, étrangement, elle ne déplaisait pas. Au contraire, j'étais bien. Comme si tout ce qu'il avait fait trois jours auparavant n'était pas arrivé. Il était pardonné. Je restais assise contre la porte. Un sourire s'empara de mon visage. Que faisait-il derrière la porte ? Comment était-il assis ? Souriait-il aussi ? Sa voix se fit entendre dans le silence nocturne.

«-Eden. Prononça mon demi frère, usant de son parfait accent britannique.»

Mon sourire s'amplifia. J'aimais la façon dont il venait de prononcer mon nom. Pas seulement son accent, que je n'avais jusqu'à lors jamais entendu, mais aussi le timbre de sa voix. Le son qu'elle émettait à chaque syllabe de chaque mot. Sa voix était un énorme feu d'artifice d'émotions. Elle les réunissait toutes, mêmes les émotions contraires. Rien qu'au son de sa voix je pouvais distinguer ce qu'il ressentait. En ce moment même il se sentait bien, il était détendu, serein, peut être même heureux. Mais en même temps il semblait confus, contrarié et quelque peu attristé. Comme si il éprouvait des regrets. Au bout de quelques minutes il expira bruyamment et se leva. Je restais contre ma porte un instant avant d'aller me mettre au lit. Le réveil fut dur le lendemain matin, mais vers dix et quart je sortis enfin de mon lit. Comme chaque jours, je m'habillais et me coiffais en vitesse avant de descendre à l'étage inférieur pour aller courir. Reagan était devant la télévision.

«-Tu as une heure de retard ce matin. Annonça-t-il sans décrocher les yeux de sa série sanglante.
-Bonjour à toi aussi Reagan.»

Il éteignit la télévision et me rejoignit dans l'entrée, tout souriant.

«-On y va ? Demanda-t-il.
-"On" ? Ris je.
-Après vous mademoiselle. Fit il en ouvrant la porte.»

Je sortis et il me suivit. Je ne comprenais pas pourquoi il avait tenu à se joindre à moi. J'avais toujours couru seule. C'était mon moment de détente. Mon moment de réflexion. Mon moment de tranquillité. Mon moment de solitude, et non un moment familial à partager avec lui. Je commençais à courir le long de mon parcours habituel, sans prêter attention à mon andouille de demi frère derrière moi. Soudain il accéléra le pas et me dépassa. On s'arrêta de courir quand il m'adressa la parole.

«-C'est tout ce que t'as dans le bide ? Me taquina Reagan.
-Tu veux faire la course ?
-Quand tu veux.
-Tu n'as pas peur de la défaite au moins j'espère ? Plaisantais-je.
-Je vais t'écraser. Répondit il, l'air faussement méprisant.
-C'est ce que tu crois.»

Il s'approcha de moi, plongeant son regard si intense dans le mien. Son visage s'approcha doucement mais terriblement trop près de moi. Je tournais la tête sur le côté pour rompre le contact visuel devenu insoutenable. Sa bouche s'avança près de mon oreille, au creux de laquelle il murmura doucement deux mots anglais avec son plus bel accent Londonien: «We bet ?». Ses lèvres effleurèrent ma peau lorsqu'il prononça ces mots. Un frisson me parcourut l'échine. Il s'éloigna de moi avant que je ne puisse lui répondre quoi que ce soit, et se remit à courir le long de la plage. J'expirais lentement, comme si j'avais été en apnée ces dernières secondes. Je déglutissais avec difficulté. Que venait il de se passer ? Je repris la course à mon tour, donnant mon maximum pour essayer de rattraper Reagan, en vain.

Amour InterditWhere stories live. Discover now