IX

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Il s'assit sur son lit et baissa la tête. Je pris place à ses côtés. J'avais envie qu'il me parle, là maintenant, tout de suite. Je ne voulais plus attendre. Mais je sentais qu'il était sur le point de me dire quelque chose dont il n'avait jamais parlé à qui que ce soit auparavant. Alors je savais qu'il avait besoin de temps et de calme pour se lancer dans son récit. Je respectais son moment de silence et je restais muette moi aussi.

«-Tu vois le truc c'est que... Quand j'étais petit, j'étais vraiment un bon gamin. J'étais tout le temps souriant, et tout le temps gentil aussi, avec tout le monde. Enfin tu sais le genre de gosse parfait qui aime aller à l'école et qui ramène toujours la meilleure note de la classe pour faire plaisir à ses parents. J'étais un peu comme ça mais par dessus tout, j'étais un gosse qui adorait lire. Et puis un jour, je sais plus où, j'ai lu cette phrase: "On naît seul, on meurt seul. Le reste n'est qu'illusion". Ça m'a empêché de dormir pendant des nuits, parce que j'étais qu'un gamin à l'époque. Je comprenais pas bien, je me posais des tonnes de questions. Alors je me suis renseigné. Et c'est seulement là que je me suis rendu compte que, depuis les premières traces écrites de l'histoire de l'humanité, plus de cent quinze milliards d'êtres humains sont venus au monde. Et tu sais quoi ? Aucun d'entre eux n'a échappé à la mort, pas même ceux qui ont marqué l'histoire. Ni Albert Einstein, ni Jeanne d'Arc, ni Alexander Fleming, ni Marie Curie. Aucun n'y a échappé. Tu veux que je te dise ? Actuellement, on est près de sept milliards de personnes sur Terre et chaque année, environ soixante millions d'entre nous clapsent. Soixante putain de millions de personnes, tu te rends compte ?! Ce qui veut dire, j'ai calculé, cent soixante mille personnes par jour ! Alors tu veux la vérité ? La vérité c'est que je suis né pour crever. La vérité c'est que chacun de nous naît pour crever. C'est comme ça, on naît seul et on crève seul. On ne peut rien y faire. Et peu importe le nombre de bonnes actions ou de conneries que tu feras Eden, tu crèveras toi aussi. La vie n'est qu'une sadique illusion. Tu peux t'attacher à elle autant que tu le souhaite, tu finiras quand même par clapser. Alors dis moi, ça mène à quoi tout ça hein ?! À rien, n'est ce pas ? Et pourtant, c'est ça la vie Eden. C'est juste un putain de faux espoir de merde. Alors vas y, explique moi pourquoi je devrais passer ma vie à suivre le chemin de la droiture, à travailler dur, à galérer comme un enculé, à en baver juste pour une putain d'illusion à la con ! Surtout sachant pertinemment qu'il n'y a ni d'amis ou de fille, ni de dissertation universitaire, ni de dérivée d'une fonction du polynôme de second degré qui me permettra d'échapper à ce destin aussi tragique soit il. Donc ouais j'en suis arrivé à la conclusion que j'avais mieux à faire du peu de temps qui m'était accordé. J'ai décidé de m'amuser. Je veux vraiment m'amuser avant de clasper comme une merde, moi aussi. Je veux que ma vie en vaille la peine. Et si je dois crever dans un accident de moto en pleine course illégale, alors je m'en branle. Parce que, tu sais quoi ? J'aurais profité de ma vie au maximum tu vois, et je me serais bien amusé.»

Je fixais son visage. Il semblait calme à présent. Ses yeux brillaient, leur couleur était intense et merveilleuse à la fois. Je ne savais pas quoi dire, il m'avait énormément touchée. Ce qu'il avait dit était vrai dans un sens, parce qu'on allait vraiment tous finir par crever. Mais je continuais à croire que la vie en valait la peine, et qu'il fallait bien en baver quelque fois pour pouvoir enfin vivre heureux. Les mots sortirent de ma bouche avant que je ne puisse les contrôler.

«-T'es bizarre.
-Tu vois tu comprends pas. Personne comprend.»

Je pris sa main dans la mienne. Nos doigts s'entremêlèrent instinctivement, comme si ils étaient conçus pour ça.

«-Tu te trompe, Reagan. Je comprends. Je comprends, mais je continue de penser autrement. Je pense que la vie est un cadeau et que parfois elle vaut la peine d'en baver.»

Il s'allongea sur son lit et j'en fis de même. On s'observa un instant. Ses doigts traçaient des cercles sur le dos de ma main, c'était plutôt agréable comme sensation. Il reprit la parole.

«-Tu dis ça parce que ta vie est parfaite. Tes parents s'aiment, tes parents t'aiment, ta meilleure amie t'aime. Puis t'es surement une élève modèle. Et je peux te garantir que t'es une fille extraordinaire. Et...
-Tu ne me connais pas Reagan Buckner. Tu ne sais rien de moi. Tu ne connais pas mon passé. Chuchotais-je.»

Il se redressa sur ses coudes et il approcha son visage du mien. Malgré la faible intensité de lumière dans la pièce, il plongea son regard dans le mien.

«-Alors parle moi de toi Eden Martin.
-Pourquoi ? Demandais-je timidement.
-Je t'ai parlé de moi. Je t'ai raconté ce que je n'avais jamais dit, à personne. C'est ton tour.
-Je passe.
-S'il te plaît parle moi de toi, je veux apprendre à te connaître.
-Et si je refuse ?
-Alors j'attendrais. Mais un jour, je saurais tout de toi.»

Ses doigts remontèrent le long de mon bras, provoquant quelques frissons. Il posa sa main sur ma joue et approcha son visage, son front contre le mien.

«-Merci Eden. De m'avoir écouté. Chuchota Reagan, d'une voix si douce et apaisante qu'elle me surprit.
-Merci à toi, de t'être confié à moi.
-Promets moi que tu me parlera de toi.
-C'est promis.»

Son étreinte s'amplifia. Il déposa quelques baisers rapides sur mes joues. J'aimais la sensation de ses lèvres sur ma peau. Je ne devrais pas, c'est mon demi frère. Mais c'est plus fort que moi. Si je pouvais je l'embrasserais. Mais je ne peux pas. Non je n'ai pas le droit.

«-Je ferais mieux d'y aller. Dis-je.
-D'accord... À demain.
-À demain.»

Il déposa un baiser sur mon front et je me levais pour regagner ma chambre. Mon coeur tambourinait dans ma poitrine. Je devenais folle, je ne pouvais pas aimer partager ces moments avec mon demi frère. On avait le même père. On avait pas le droit d'avoir ces pensées malsaines. Je n'avais pas le droit de l'apprécier de cette façon. C'était dégueulasse. C'était interdit. Mais c'était plus fort que moi... Je l'aimais.

Amour InterditTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang