Une bonne épouse

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Pschitt (grésillement d'une eau en ébullition)

- Ouche !

L'eau chaude du feu venait de me brûler. Je me mordais la lèvre pour ne pas montrer ma douleur.

Décidément je n'étais pas faite pour la cuisine.

Bien que ma famille possèdait des domestiques, j'étais contrainte, de temps à autre, à faire le repas, afin de me préparer à mon futur de femme. Mère souhaitait ardemment que je devienne un bon parti pour le premier venu. Pour elle, être une bonne épouse  sous-entendait mère pondeuse et dame de bonne compagnie. Mes journées se résumaient à des corvées : ménagère, cuisine et soirées mondaines avec ses hystériques cousines. Excepté la dernière besogne, je ne sortais que très peu du domaine où j'avais vécu.

La Cour n'était pour moi qu'un vague mot, le seul d'ailleurs qui revenait toujours au salon de thé. Et pourtant ma famille avait les faveurs du seigneur, la plupart d'entre eux prétendaient l'approcher de près.

Je passai de l'eau froide pour apaiser ma rougeur.

Mère me tenait éloignée de la Cour : trop frêle, disait-elle, ma petite tu y perdrais ta peau. Tu n'es pas prête pour ces choses-là. Je ne savais pas quel âge me donnait Mère, mais je ne devais pas en atteindre la moitié.

Je relevai la tête, puis vis mon reflet sur le verre scintillant de la fenêtre. Je me surpris à contempler mes tempes ruisselantes, les traits anguleux de mon nez, et la spirale céruléenes-symbole de ma famille-, ornant mon front. Je détournai aussitôt les yeux de cette hideuse personne, je n'aimais me voir ni dans un miroir, ni dans une vitre, ni dans une flaque.

L'unique chose dont je fus fière était mon excellente mémoire, le don des Chroniqueurs. Je n'étais peut-être pas l'exemple que ma mère voulait que je fusse, mais j'avais au moins le mérite d'avoir toujours été sérieuse dans mes leçons d'école. Mais Mère n'avait que faire d'une petite bonne femme qui travaillait, et qui prétendait être l'égal d'un homme.

Je n'étais pas d'accord mais je ne devais pas avoir mon avis sur cela. D'ailleurs, personne ne se préoccupait de mon opinion.

J'essuyais ma main endolorie, puis je fixai la casserole qui bouillait. J'éteignis le gaz, posai le lourd récipient de fer empestant le chou grillé sur le torchon que je venais d'utiliser, et enlevai ce vieux tablier qui me serrait la taille.

Mère sera très déçue à son retour du marché. Elle trouvera mon échec brûlé dans la casserole, elle me fera un reproche et me fera faire deux fois plus de corvées, dans l'espoir qu'un jour je devienne une bonne épouse.

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant