Influence

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Le sixième étage de la tour de Farouk, dit le gynécée, renfermait les somptueuses chambres des privilégiées du seigneur.

Ce monde moelleux semblait tout droit sorti d'un imagier oriental. Le soleil ne s'y couchait jamais. Chaque favorite disposait de sa propre couchette de banquettes, de coussins et d'ottomanes. L'immensité de l'échelonne aurait pu parfaitement se confondre avec un nuage de magnificences et de gourmandises. Les sucreries ne manquaient jamais, toutes les heures des soubrettes venaient remplir les plateaux d'argent. Aucune des courtisanes n'y touchaient. Elles savaient les petits poisons cachés sous leurs airs appétissants.Parmi elles, on pouvait compter une petite dizaine de Mirages plus deux autres cousines Chroniqueuses. Elles avaient vu, d'ailleurs,d'un très mauvais œil l'intrusion d'une nouvelle rivale dans leur nid.

Les premiers temps dans le gynécée furent presque haïssables . Les Mirages, enfin les plus espiègles d'entre elles, avaient usé de leurs illusions pour me dénaturer de mon apparence.

Ce fut ainsi que je m'étais retrouvé, une fois, avec des oreilles de lapins. Un second coup, je croassais comme une grenouille qui aurait attrapé une forte angine. Un autre jour, je ne pouvais marcher qu'avec les mains.

Je n'étais pas la seule à subir ces moqueries puérilles. Je me souvins d'une courtisane qui -après avoir raconté des médisances-s'était retrouvé avec le bec d'un canard à la place du nez.J'avouai avoir beaucoup ri du spectacle.

Les hostilités entre mondaines étaient un rituel enfantin. On s'habituait rapidemment à vrai dire. D'ailleurs, j'avais la chance de ne pas être tous les jours enfermée au sixième étage, et de ne pas être affublée chaque aube à une nouvelle mine effroyable.

Chaque matinée, le grand chambellan franchissait la grille dorée de l'ascenseur, déroulait une feuille de papier et appelait une à une, les élues qui avaient été choisies pour servir d'escorte à Farouk. Et à la grande acrimonie générale, mon nom était toujours mentionné. Ainsi, aux aurores, je sortais du gynécée, parée de diamants et de perles de la tête aux pieds, et au crépuscule, je rejoignais, épuisée et parsemant quelques pierres sur mon passage,ma couche de velours et de traversins.

Si les privilégiées s'enroulaient mielleusement autour de ses membres, moi, je privilégiais le tendre cou de Farouk. Je m'étais presque trop vite habituée à la proximité que j'avais avec lui-mon ancienne fonction d'aide-mémoire y était un peu pour quelquechose-.

En effet, il m'arrivait à plusieurs reprises de lui chuchoter au creux de l'oreille, les décisions pendant les procès. Comme un enfant ne sachant pas quoi faire, il écoutait les paroles discrètement données par sa mère. Ma méthode n'était pas des plus discrètes, les nobles l'avaient vue et n'avaient pas terminé de se faire des messes-basses derrière leurs gants de soie et leur éventails. Les échanges de sabliers se faisaient,d'ailleurs, plus occasionnels.

Maintenant que les enfants avaient compris que les décisions de leur aïeul ne se faisaient plus aux hasards, les sablonnières ne tintaient plus à l'enceinte de la chambre de la Roulette. L'illusion de la roue du plafond avait également, cessé de tourner -comme à son habitude-,elle s'était comme arrêtée.

On ne remettait plus sa vie au hasard.

Au Jardin de l'Oie -à la fin de ses nombreuses jeux gagnés-, lorsque les courtisans réclamaient de satisfaire leurs caprices, Farouk attendait toujours mon verdict. Le plus souvent, mes conclusions irritaient les gentilshommes et ils faisaient aussitôt demi-tour. Je pouvais enfin savourer la satisfaction de les humilier devant lafoule de nobles qui se faisait de plus en plus silencieuse. En quelques mois -enfin je supposais plusieurs mois, car la vie de favorite avait eu le don de m'ôter la notion du temps-, la vie au Pôle avait considérablement changé.

Les nobles ne quémandaient plus de choses saugrenues, et la justice régnait en bon terme. Farouk m'obéissait au doigt et à l'œil.Je pensais avoir honoré Dieu en le rendant ainsi. Je m'étais mis à l'esprit qu'il me glorifierait, qu'il serait fier de son enfant. Il m'avait également permis d'ammener mon marmot à Berenilde, je devais lui rembourser cette dette.

Thorn,je ne pensais plus à cette erreur du passé, après tout lui aussi ne pensait pas moi. Pourquoi devgrais-je m'inquiéter pour lui, pour ce bâtard ?

Pour revenir à Dieu, il y avait un de ses ordres, le plus solennel d'entre eux sûrement, me torturait l'esprit. « Il doit faire ce qui était écrit ».

Mais ce qui était écrit où ? On peut écrire une histoire, une destinée, un livre... Un livre ? Un livre comme celui que Farouk protégeait par-dessus-tout. Serait-ce donc le Livre ? Ce Livre qui datait d'aussi longtemps que la Déchirure de l'Ancien Monde. Ce Livre de chair. Alors Farouk devrait obéir aux arabesques illisibles, vieillies avec le temps, aux pages vierges et brunis enfermées dans une reliure de pierres et de fourrure.

Même si j'avais la sensation -et la certitude- d'être la favorite parmi les favorites, rien ne pourrait remplacer le Livre aux yeux de Farouk. Ce dernier n'autorisait personne pas même une émeraude,de poser les doigts sur dessus. Cela n'allait pas être tâche facile. Mais je me devais de découvrir ce qu'il devait être écrit pour pouvoir gratifier la requête de notre parent, peu importe les moyens qu'il faudrait employer.

« Lorsque vous serez seule, sans qui pouvoir compter, vous verrez que tous les moyens quels qu'ils soient, sont bons pour redonner de l'honneur ». André avait eu raison sur ce point.

Si j'étendais mon pouvoir de mémoire sur les objets, peut-être que le Livre me serait déchiffrable ? J'allais avoir d'un animiste.Cela tombait très bien, les rumeurs courraient que l'un d'entre euxbétait au bord de la ruine de son échoppe de liseur. Il allait m'être d'une aide considérable.

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Where stories live. Discover now