Le seigneur Farouk

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J'observais avec la curiosité d'un enfant, la chambre qui s'offrait à ma vue.

A peine eus-je fait un pas, que le sol me paraissait aussi douillet qu'une peluche. Je remarquai bien assez vite que le plancher était fait de fourrure blanche. Elle avait dû appartenir à une créature de la toundra. Et pourtant on ne sentait point son odeur de gibier. C'était une curieuse sensation de marcher sur la peau d'une bête. J'aurai aimé pouvoir la toucher de mes propres doigts, dénués de mes gants.

Des tapis de toutes les couleurs, de toutes les formes, et de tous les motifs, étaient ensevelis sous un bric-à-brac d'objets : des meubles aux proportions gigantesques, des automates à taille humaine, des pyramides de cassettes, et un lit aussi vaste qu'une maison.

Une immense silhouette se dégagea du désordre.

L'ombre du seigneur dévisagea avec lassitude mes bottes trempées par la neige, puis son regard glissa jusqu'à mon visage pâle, vide de toutes peurs.

J'étudiais avec soin sa figure imberbe, sa longue natte blanche torsadés autour de son corps comme une étrange rivière de glace, et sa peau si lisse qu'il aurait fallu des jumelles pour distinguer les traits qui composaient son visage. Il aurait été difficile de lui donner un nombre d'hiver, et il était plus difficile d'imaginer qu'il avait plusieurs siècles passés.

- Qui êtes-vous ? Dit-il soudainement d'une voix rauque et monotone.

Me rappelant que j'étais face à notre seigneur, je fis une révérence, des plus maladroites, manquant de peu de glisser sur la fourrure.

Sans lever mon regard du sol, je lui répondis, à la façon d'une poésie :

- Natacha, sœur d'André, une Chroniqueuse. Je prends sa succession au poste d'aide-mémoire.

Il ouvrit alors un petit carnet, de son gigantesque manteau blanc, et en feuilleta plusieurs pages écornées, avant de relever les yeux vers la petite clandestine qui prétendait être le nouvel aide-mémoire.

- Bien sûr. Votre frère est parti, et je vous aie nommé aide-mémoire suite à ses conseils, lut-t-il sans une once d'étonnement.

André ne m'avait donc pas menti, notre seigneur Farouk était bien atteint de « petits » problèmes de mémoires. Je comprenais bien l'utilité de ce petit pense-bête.

- Sire, qu'avez-vous donc prévu aujourd'hui ? demandais-je en articulant bien chaque mot, pour rompre le silence pesant.

- Eh bien ... tout d'abord, installez-vous dans votre chambre -sur ce, il désigna, avec un interminable mouvement de tête, une porte masquée par une tapisserie exagérément couverte de dorures- ... ensuite... beaucoup de procès m'attendent... à la chambre de la Roulette... il faut que j'y sois dans quelques minutes..., lut-t-il monotone, une nouvelle fois dans son carnet. Ne traînez pas !

Je n'avais pas de bagages avec moi. Dans la précipitation générale, je n'avais pas pensé à prendre quelques affaires, ne serait-ce qu'un bas de mousseline. Cependant n'ayant aucune envie de transgresser les ordres du seigneur, j'y allais tout de même, voir la pièce qui m'était prédestinée.

Ce fut une mansarde toute simple, un lit de fer, un bureau de chênaies, un lavabo de cuivre blanc et une armoire de sapinière.

Devais-je alors garder cette unique défroque toute ma vie d'aide-mémoire ?

Je fis le tour de l'exiguë pièce, pour m'occuper le temps. Mon retour ne devait n'être ni trop rapide, ni trop lent, pour ne pas attiser la curiosité, même infime, du seigneur.

Je me surpris alors à passer le doigt dans la poussière du mobilier comme le faisait Mère lorsqu'elle vérifiait mon ménage. En passant devant l'armoire imposante, je remarquai un bout de tissu sombre, dépassant des battants du meuble. Je l'ouvris, et y découvris des uniformes bleus, et des camisoles de toiles blanches, pour homme certes, mais j'avais enfin de quoi me changer de ses défroques crasseuses.

Etait-ce André qui avait  volontairement laissé ces vêtements, ici ?

En y repensant, il était venu les mains vides, la veille. Mais j'avais pourtant toujours cru que le bleu était une des couleurs qui l'horripilait.

J'enlevai donc cette immonde robe grise et les horribles nœuds de mes gants, optant pour la livret -bien qu'un peu grande au niveau des manches-. Je dévisageais ensuite le bas bouffant m'arrivant jusqu'aux chevilles, et le veston bleuté laissant transparaitre une chemisette laiteuse, couvrant les rondeurs de ma poitrine poupine. Ce n'était peut-être pas la tenue la plus adaptée qu'il soit, mais ce fut la plus présentable de toutes celles que j'avais en ma possession.

Puis, après ce court laps temps, je revins auprès du seigneur, avachi au rebord de sa fenêtre. Il eut un léger mouvement de recul en me voyant vêtue de la sorte, puis après mûre réflexion, il jugea que j'étais bien la même femme qui s'était présentée à lui, quelques instants plus tôt.

- Prenez ceci, marmonna-t-il en se relevant et me tenant son carnet de sa démesurée main ivoirine, et notez-y toutes les informations importantes et mes décisions prises, petite aide-mémoire...

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant