Déboussolée

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Mère était rentrée, les bras pleins. Je voulus m'approcher d'elle pour l'aider à porter ses sacs, mais elle m'envoya un regard désapprobateur. J'obéis, et l'attendit dans le grand salon sombre.

Tout était impeccablement nettoyé et brillant. Le sol était ciré, les lustres dorés épurés, et le mobilier astiqué. J'avais beau passer mon doigt sur chaque coin des meubles, pas un seul grain de poussière effleura ma peau. Avec ma vieille robe grise, j'avais l'impression de faire tâche sur le carrelage en damier. Le vilain arôme de produits désinfectants me piquait le nez. Mais le silence lourd, ponctué par la minime aiguille des secondes de la grosse pendule, me dissuada d'éternuer, et de faire le moindre bruit d'ailleurs.

Je m'affaissai sur le sofa en cuir -ce qui eut le don de relâcher mes nerfs- et sentis un objet tinté dans mon bas. C'était mon bijou. Dès lors que je le sortais de ma poche, je m'amusai à claquer le couvercle.

Tac-tac.

Je me souvins du jour où Grand-Père me l'avait offert.

Tac-tac.

Grand-père avait été horloger, et je l'aidais souvent à l'atelier où traînait quelques pièces d'engrenages ici et là. Un jour où il m'avait donné une commission chez un de ses collègues bijoutier, je m'étais perdue.

Tac-tac.

Jamais je n'avais eu aussi peur de mon existence. J'avais dévalé toutes les rues qui s'étaient offertes à ma vue, trébucher sur des débris de verre et d'acier, m'écrouler dans des flaques noirs de sang.

Tac tac

Je n'avais interrompu ma course, que lorsque les lanternes flamboyantes de la boutique de Grand-Père, s'étaient dressées devant ma silhouette éreintée. J'avais tambouriné la porte de l'horlogerie, puis avais couru dans les bras de mon aïeul, et m'étais endormie comme un poupon.

Tac-tac.

Le lendemain, mystérieusement réveillée dans mon lit, j'avais eu l'immense surprise de trouver, ce que je croyais être, une montre à gousset, sur ma table de chevet. La montre était argentée et gravée de boucles, et au-dessus un bouton permettant d'ouvrir son couvercle, et de voir beaucoup d'autres aiguilles -et qui tournaient dans des sens peu ordinaires-. Il y avait aussi une petite chaînette en or qu'on pouvait accrocher à une poche. En observant de plus près, je vis un mot plié en quatre, écrit par la main de Grand-Père.

Tac-tac.

« A ma petite fille déboussolée, afin qu'elle ne perde plus le Nord ».


𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Onde histórias criam vida. Descubra agora