L'envers des apparences

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En regardant l'unique faîtière gelée de ma garçonnière, je vis une dizaine fourrure de carcasse d'ours détaler de la Citacielle, pour prendre place dans des imposants traîneaux défraîchis -tirés par des chiens des neiges-. Après mûre observation, je constatai que ce n'étaient pas des bêtes qui traînaient des pieds sur l'épaisse couche de neige, mais des Dragons qui s'échafaudaient sauvagement pour la chasse. C'était donc aujourd'hui.

L'intendant, le plus magistrale de tous, était enveloppé d'hommes gaillards, qui s'amusaient à lui embroussailler le crin blond. Il ne protesta pas, au contraire il se laissait faire.

Les femmes, bien emmitouflées dans leur manteau de poils, riaient à s'en tordre la poitrine. Elles s'échangèrent quelques œillades complices, et de vigoureux coups de coude.

Les enfants gambadaient à en perdre haleine. Quelques uns chancelaient sur le sol pâle glacial et mollasse, frottèrent les flocons de leur pelisse, puis recommencèrent à se pourchasser.

De là où je me tenais – accoudé à ma lucarne, on aurait cru à une tribu d'ours blanc, se réveillant de leur hibernation.

Un homme, plus pâle que le manteau de neige, fit de rustres gestes pour inciter le clan à prendre part aux traîneaux attelés. Chacun prit place, mollement, dans chaque siège de la voiture. Puis leur silhouette se dessinèrent dans l'ombre blanche de la toundra, emportant avec eux leurs mugissements.

Le seigneur n'allait pas tarder à m'appeler. D'ailleurs, en ce moment-même, il s'entretenait avec André. Et d'après les propres mots de mon frère, « l'aide-mémoire ne devait pas être au courant de cette affaire ». Elle était bien bonne, cette plaisanterie ! Comment le seigneur pourrait se souvenir de cet entrevue, si l'aide-mémoire n'en prenait point note. A moins que tous ce qu'ils se discouraient entre eux, ne devaient sortir de la pièce où cela avait été prononcé.

D'ailleurs, la veille, j'avais également reçu la courte bonne visite d'André, au détour d'une commission.

*

- Sept mois, seize jours, et le Dragon est toujours à la Cour, m'avait-il chuchoté au creux de mon oreille. Je trouve que tu te reposes un peu trop sur tes lauriers, sœurette.

- J'y suis presque si cela peut te rassurer, lui avais-je seulement répondu.

- Je l'espère, si l'attente m'ait trop longue, je me chargerai de son cas et du tien aussi ! avait-il repris avec un large sourire. Peut-être as-tu besoin de d'autres informations à son sujet ? Avait-il ajouté en m'empoignant le poignet au moment où je m'apprêtais à décamper.

- Elles me seront d'aucune utilité, André... Puis-je retourner travailler ou as-tu encore autre chose à me dire ?

André avait secoué ses petites boucles blondes et s'était dirigé vers son bureau, quelques portes plus loin.

*

Il y avait bien eu autre chose que j'aurais voulu lui dire si je l'avais su plus honnête.

J'avais -au fond de ma chair- la constante impression qu'il y avait une chose importante que je ne savais pas, une chose que je devais à tout prix savoir. Cela faisait toutefois un moment que cette intuition harponnait l'esprit, mais mes doutes avaient pris encore plus d'ampleur après mon entrevue avec André.

*

J'avais voulu déguerpir de ce couloir sinistre au plus vite, comme craignant d'apercevoir mon frère retourner sur ses pas. Au moment, où l'ascenseur à la grille d'or s'ouvrit, je m'étais promptement assommé contre quelque chose, ou plutôt quelqu'un. C'était un homme, guindé dans son veston marron -paré d'une paire de lunette foncièrement épaisse et ronde- et à son bras une femme -aux mêmes grossières besicles- y était pendu. J'avais aperçu, dans la fente de leur cape sombre, leurs tatouages ombrés à leurs paupières. Des Mirages.

Depuis le tragique événement des Nihilistes, je leur accordais une démesurée prudence, et en particulier de leurs illusions faussées.

Au lieu de s'impatienter de ce léger contretemps, ils avaient eu l'air quelque peu déconcertés d'avoir été aperçus, et essayèrent de se fondre dans la masse cendrés de leur pelisse.

Je leur avais bredouillé quelques excuses -qui avaient dû leur paraître- inaudibles et étais reparti vers mon chemin, de crainte qu'ils m'amochent comme un monocle.

La dernière chose que j'avais pu observer du couple de Mirages, au travers de la grille du monte-charge, avait été leurs coups d'œil à la dérobée de tous les côtés, avant d'entrer dans le cabinet d'André.

Pourquoi avaient-ils eu l'air aussi inquiets qu'on puisait les découvrir ici ? Pourquoi étaient-ils venus voir mon frère ?

Cela empestait la cabale à pleines narines. Il devait y avoir des choses qui se tissaient dans le cœur de la Cour. Des choses que même le seigneur devait ignorer. On lui balançait de la poudre aux yeux, l'enivrait de plaisirs et tirait les rênes de son pouvoir. Savait-il au moins qu'il était le patin de ses ministres ? J'avais bien compris cela en écoutant les faits et gestes de ses courtisans -mêmes de certaines paroles qu'ils n'osaient prononcer mais qui flamboyaient dans leurs prunelles, aveuglées de rage-. Savait-il, Farouk, les coups de poignards que l'on faisait dans le dos de ses enfants, les chimères pour combler les bavures de crimes maladroits, et surtout les écœurants complots pour faire payer une dette de longue date.

Ainsi va la Cour...

J'avais ri à cela, car moi aussi j'étais une canaille. Après tout, j'allais déshonorer un clan au profit du mien. Quelle adorable pièce montée faisions-nous !

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Where stories live. Discover now