Gribouillages

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Toute l'alchimie de ce vaste tableau de maisons empierrées, de hautes féralies statufiées sur les frontispices, de senteurs toutes aussi exotiques que dépaysantes, réveillant les ventres affamés, et de chants d'un violon désaccordé ; tout cela semblait ne plus m'émerveiller. La déclaration du Dragon avait comme refroidi l'air marine, et nous avait laissé aussi discrets que des morts dans leur mausolée. On ne s'était d'ailleurs plus adressé le moindre regard depuis.

Je me torturais l'esprit d'interrogations inutiles. Je me demandais sans cesse, si je n'aurais pas mieux fait de m'enfuir de la maison de Mère comme se l'était vaguement imaginé André.

L'idée que le Dragon pût se jeter sur moi à tout moment de la nuit m'effrayait. J'envisageais sérieusement à dormir ce soir au pied de la cheminée. Je savais parfaitement qu'un jour ou l'autre, j'aurais à coucher avec cet homme. Mais à présent que ce ultime acte de mes manigances arrivait à grand pas, je doutais. Je doutais de tout, de moi, de mon plan. Allait-ce fonctionner ? Suis-je vraiment sûre de ce je m'apprêtais à faire ?

Je posai un léger regard craintif à l'adresse du Dragon. Ce dernier paraissait même plus s'intéresser à la route dallée qu'à la dame qui l'accompagnait. Il fixait obstinément le sol, les joues rougies, le crin s'envolant dans tous les sens. A vrai dire, je sentais qu'il était lui aussi troublé par ses propres paroles.

J'aurais voulu le rassurer, lui faire croire qu'il n'avait pas à s'inquiéter de ses mots, mais quelque chose m'empêchait de faire quoique soit.

Une vilaine petite chose, ou plutôt une enfant, qui s'amusait à tirailler sur les pans de mes bas. Freyja ne cessait de se tapir parmi la mousseline de ma jupe , pour se cacher de son frère qui essayait de la pincer. S'ils ne riaient pas aussi grossièrement, on aurait pu croire qu'ils se chamaillaient.

Je n'aimais décidément pas ces chérubins, je n'aimais pas leurs cris, leurs pleurs et leurs chicanes. Ils me rappelaient singulièrement ma nièce. Elle m'avait été confiée qu'une seule fois -Mère et André ayant prétendus que cela me servirait d'exercice pour plus tard. Cette journée-ci ne s'était pas passé comme prévu, jamais je n'avais eu un aussi mal de crâne et d'aussi belles crampes. Je me souvenais particulièrement de l'horrible nuit que j'avais passée en sa compagnie. Depuis je m'étais jurée de ne jamais enfanter, enfin jusqu'à maintenant.

Soudain, un éclat de tonnerre retentit. Ce dernier avait fait choir sur les dalles la gamine. De sa main droite, elle brandissait une grande chute de tissu en dentelles, et de l'autre un généreux morceau de ruban. Je reconnus là une bouchée d'un de mes nombreux friselis de ma toilette.

Freyja se releva péniblement, époussetant sa robe avec le bout de la mienne, puis me le rendit, l'air de rien. Le vert du tissu tirait plus sur le kaki que sur le pâle.

Je contractais mes mâchoires, et mes poings. Jamais je n'avais autant voulu lever la main sur une enfant. Si son frère et son père n'avaient pas été à nos côtés, je me serais chargé de lui donner une punition digne d'une Chroniqueuse.

Un second grondement, plus puissant que le précédant, résonna au loin. La fille du Dragon, se mit à gémir dans les basques de son frère.

- Ne t'inquiètes pas Freyja, chuchota Godefroy le sourire aux lèvres, ce ne sont que des coups de canon. Tu sais, si un ours essaie de s'approcher des remparts, il ne pourra pas aller bien loin.

Sur ce, il imita les grondements lointains, et pointa, de ses doigts pâles, au hasard une cible susceptible de ressembler à une bête.

Une toute petite fille, marbrée de tâches rousses au nez, pleura à s'en vider les poumons. Elle gémissait de douleur en désignant son doigt terne ensanglanté à sa mère, pâle d'horreur. Elle se roulait sur les dalles poussiéreuses, salissant ses boucles rouges.

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant