La viande est servie

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Le garde-chasse mena le seigneur aux entrepôts brumeux, où des femmeset des hommes portaient à bout de bras des carcasses saignantes de bêtes balafrées, de leurs traîneaux de pinières. Il y avait aussi des enfants qui galopaient à en perdre haleine dans les coins bistres du hangar.

Les chasseurs déchargeaient leurs butins dans les gardes à manger. Au vu de leurs innombrables allers et retours, la chasse avait été vraiment très bonne.

- Vingt-cinq ours, dix-huit loups, et trente-et-un félin, énuméra le garde-chasse, altier. Que demander de plus mon seigneur ?

J'ignorais qu'autant de venaisons pouvaient s'empiler dans une si petite chambre. Encore une illusion.

Le seigneur ne paraissait d'ailleurs pas si abasourdi que cela. Il me semblait même que cette quantité lui paraissait anodin. En plusieurs siècles de chasses, il avait sûrement dû en connaître de meilleures et aussi de désastreuses. Celle-ci lui paraissaitbien être un Entre-deux.

Et pourtant ses enfants n'avaient pas encore fini de la décharger. Même les enfants s'étaient soudain endormis, adossés aux grandes poubelles, épuisés de leur course. Leur ronflements résonnèrent comme des grommellements de bestioles ensommeillées .

Dans un coin, je reconnus Freyja somnolente sur l'épaule du garçon qui l'avait aidée à lancer des galets à ma fenêtre. Si elle n'avait pas essayé de m'assommer avec ses pierres, j'aurais été attendri par sa petite mine sommeilleuse.

Une puissante main se torsada brusquement autour de ma taille de guêpe. A peine eu je pivoté le cou, que le Dragon abaissa son regardbd'acier et d'argent vers moi. Il se pencha longuement puis glissa ses yeux céruléens vers sa gamine.

- C'était sa toute première chasse aujourd'hui...enfin elle n'a pas pu utiliser ses griffes...elle est encore bien trop petite et fragile pour y participer...

- Et vous, vous y avez été à cette chasse.

C'était plus un constat qu'une question.

- ...Bien sûr que j'y ai participé, Père Vladimir m'aurait tranché le cou pour n'avoir pu encenser cette tradition...s'empressa-t-il de me répondre.

Les Dragons n'étaient pas réputés pour leur sang-froid mais de là à découronner la tête de l'un de sa famille pour avoir négligé une simple chasse...J'en frissonnai d'effroi !

Nos plus grosses sottises avec André étaient de fausser la mémoire de nos voisins. Et cela nous faisait bien rire de les voir chercher leur clé et d'arriver à se perdre indéfiniment. Et nos pires pénitences se résumaient à des coups de fouet et des corvées.

- Eh Boris, tu n'as rien de mieux à faire qu'à nous regarder ?

C'était la femme du Dragon qui s'était manifestée. Elle avait déposé le sanglier qu'elle trimbalait sur ses épaules. Sa défroque était appareillés de poils et de grossières tâches rouges, empestant le sang à pleines narines. Elle ne paraissait pas le moins gênée du monde de se présenter ainsi.

Un insupportable picotement m'assomma les tempes. Au moindre faux pas,elle s'apprêterait à user de ses griffes.

Le Dragon ôta sa main de mes côtes saillantes et s'en alla aider ses cousins, à décharger le reste de viande concassé des schlittes. Lorsqu'il passa devant moi, je remarquai une balafre -lui affûter la joue- que je n'avais encore jamais constater.

N'avais-je jamais pris la peine de dévisager soigneusement son visage pour n'avoir pu remarquer une si grosse cicatrice ?

- Si tu veux garder ta bouille d'enfant, ma p'tite, je te conseille de couper les ponts avec ce malpropre -sur ce elle désigna de son pouce le Dragon qui soulevait un ours- !Cette cicatrice que tu as vu sur son arcade, c'est moi qui le lui ait taillé ! Il m'a déshonoré en s'entichant de toi, enfin c'est que ma raconté sa sœur. Si votre relation ne prend pas fin, je prendrais le soin de te redessiner le visage, et ça ne risque pas d'être très joli à voir. Tu m'as l'air trop frêle pour supporter la colère d'une Dragon, tu y laisserais ta peau comme toutes ses bêtes, me susurra mielleusement sa « compagne ».

Et elle retourna auprès de sa famille, en laissant échapper un énorme gloussement de satisfaction.

Je ne lui obéirais pas à cette petite dame, je continuerais mespetites affaires. Elle n'avait pas à s'en mêler après tout, et puis au fond cela devait l'importer peu. Elle n'avait pas l'air de beaucoup aimer son époux, d'après les mots qu'elle avait employé pour le qualifier. La seule chose qui avait de l'importance pour elle, c'était son honneur.

De loin, je la vis pincer le Dragon, comme pour lui signaler sa lenteur à la tâche. Elle était vraiment pitoyable. Je comprenais bien à présent de qui Freyja tenait son caractère trempé.

Soudainement, l'immense ombre sombre du seigneur me plongea dans l'obscurité. Il se tenait derrière moi. Apparemment, il avait fini de regarder ses enfants apporter le repas.

C'était l'heure, pensais-je en consultant mon la montre à gousset du seigneur, l'heure des parties truquées.

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant