Etrange rencontre

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Je jetai un dernier regard aux tours de pierre de la demeure, dont je n'avais jamais déguerpies depuis ma naissance, et aux mûres arctiques gelées, qui envahissaient les murs et le portail. J'aurai aimé pouvoir goûter une dernière fois à ces fruits, pouvoir faire un dernier adieu aux tourelles.

Mais André se fit un malin plaisir de m'éloigner d'elles.

Si c'était ainsi, j'imaginerai le goût d'une mûre arctique fondant sur ma langue, je voulais juste me sentir plus forte que lui. Je lui souris alors, comme pour lui montrer son impuissance.

- Pourquoi as-tu un sourire aussi benêt ?

Parce que tu es faible et que tes seuls atouts sont tes menaces, avais-je envie de répondre.

Mais je préférais savourer mon féérique délice, que de devoir l'interrompre pour répondre à André.

Mon corps cheminait, mais mon esprit s'était envolé de la chair glacée qui errait comme un loup. J'étais comme partie de l'arche. J'avais la fascinante sensation de ne plus entendre les reproches de mon bourreau de frère, et de ne plus savoir où j'allais.

Je me souvins du goût et du parfum des tartes exquises que Mère nous préparait, bambins. A l'arrivée du printemps, j'allais cueillir les mûres arctiques avec André, et Mère les cuisinait. C'était même les seules fois où Mère devenait Maman, et qu'elle paraissait vraiment heureuse.

Errant encore dans mes pensées, j'avais aiguillonné une fillette blonde, accroupie, qui jouait aux dés. Curieux ! C'était bien la première fois que je voyais un enfant s'amuser avec des dés.

Ses joues s'étaient empourprées, ses poings serrés de toutes ses maigres forces, puis s'était jetée aux larmes dans les bras d'un homme qui devait être son père. Ce dernier avait la peau d'une extrême pâleur, une touffe de cheveux blonds lui caressait le cou. Il massa pensivement le mince bouc qui lui allongeait le menton. Sous sa carrure et fourrure d'ours, je réussis à remarquer la présence de tatouages sur ses bras, un Dragon.

André m'avait tellement raconté de choses effrayantes à leur sujet. Il paraissait qu'ils étaient capables de blesser quiconque sans avoir à lever le petit doigt. Et ils étaient d'une susceptibilité extrêmement chatouilleuse. Subséquemment, vexer une petite de leur clan était bien la dernière chose à faire.

En parlant d'André, où est-il ? M'aurait-il laisser tomber, et serait rentrer ; ou avais-je tellement errer de la réalité que je me serais réellement perdu ?

Lorsque je vis que le Dragon s'approchait de moi, mes jambes restèrent clouées aux dalles de la chaussée, j'étais pétrifiée de terreur.

Je rabattis la cape sur mon visage afin de ne pas croiser son regard, et en essayant de me fondre dans ma propre ombre. S'ils avaient été capables d'effrayer mon frère, et probablement tuer Père, il ne ferait qu'une bouchée de moi.

J'espérais ne devenir qu'une masse sombre parmi les hautes silhouettes des tourelles.

- Jamais, je ne ferais du mal à une femme, grommela l'homme face à moi, surtout pour si peu. Ma fille est bien nerveuse mais pas du tout rancunière, je suis certain que dans cinq minutes, elle vous aura déjà oubliée.

J'étais déjà un peu plus rassurée, mais je n'avais toujours point confiance de ses paroles. Je gardai encore la tête dans mon chaperon, fixant le bout de mes souliers.

- Vous ne me croyez donc pas ? Ai-je vraiment une tête aussi effrayante pour vous effrayer à ce point ? marmonna-t-il.

Une légère migraine s'annonça brusquement.

Je baissais légèrement ma cape pour le dévisager de plus près. Je dus reconnaître qu'il n'était pas dépourvu de charisme malgré ses quelques cicatrices qui rendaient chacun de ses gestes comme une menace.

- Vous ressemblez beaucoup à notre aide-mémoire, André, maugréa-t-il après un long silence.

- C'est mon frère, répondis-je sur l'offensive. Je le remplace de ses fonctions d'aide-mémoire à présent.

Quelle sotte ! J'en avais trop dit sur moi. Et puis comment savait-il qu'André travaillait comme aide-mémoire ? Travaillait-il également à la Cour ? Les Dragons n'avaient les faveurs du seigneur que pour leur aptitude pour la chasse, m'avait-on conté.

Et cette migraine qui devenait de plus en plus forte ! 

- Alors, nous nous reverrons, reprit-il dans un murmure presque inaudible. Votre frère aura été un ... assez bon aide-mémoire ... Quel est votre nom ? Demanda-t-il d'une voix rauque.

J'avais dévoilé -ou presque- ma couverture. Si André m'avait demandé à être discrète, c'était perdu d'avance. Et si pour rester en un seul morceau je devais donner mon nom à ce Dragon, je le ferais.

La migraine s'empara de mes tempes, la fit entrechoquée entre elles sur ma chair.

- Natacha. Et vous, qui êtes-vous ?

Il fallait que je sache son nom, être sûr qu'il n'était pas l'homme qu'André cherchait à abattre.

- Boris, répondit-il calmement, l'intendant.

Mes tempes s'arrêtèrent aussitôt de cogner.

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Where stories live. Discover now