Grâces

178 12 0
                                    

Les hautes tours de l'intendance s'élevaient à quelques ruelles du Clairdelune. Décidément, ce n'était pas la porte d'à côté.

J'avais dû dévalé de multiple escalier en colimaçon, dû traversé d'innombrables embrasures de pinèdes, qui se tenaient aussi guindés que des stalactites gelés. J'avais dû arpenté des allées dallées, où des ruisseaux d'eau ébènes se déversaient. A la faible clarté des lanternes graisseuses appendues, j'avais perçu des corps d'ivrognes gisants comme des bêtes prises au piège des chasseurs, et des éclats d'argent, pareils à des lames lacérantes. Tous ce chemin fut assaisonné d'un subtil arôme de souillure, amalgamé avec celle de gibiers sacrifiés.

Les alcôves sombres du Pôle ne m'inspiraient en aucun cas la plus grande audace. Le vernis sous la crasse, affirmaient les Mirages. Et bien, j'avais trouvé la face estompée de l'arche.

Aussi quel fut mon apaisement d'aboutir devant les immenses échappatoires d'acier des tourières empierrées de l'intendance.

J'entrouvris avec prudence, la poignée d'argent, et parvins dans un salon d'attente. Les murs nus de marbres et le carrelage de damier me firent sentir comme une importun, une tâche dans une ambiance si draconienne. Le plancher, les voûtes de gemmes du dôme, les rideaux bistres, et le lustre cuivré, tous était impeccablement épuré. Les bancs de velours cendrés se tenaient aussi austères que les petites statuettes de l'ambassadrice.

Je ne fus pas seule. Il y avait ainsi une demi-douzaine de femmes et d'hommes, chois sur les banquettes de velours. Les dames grignotaient quelques sucreries, dressées sur des plateaux de cuivre, sous le couvent de leur éventail de soie; pendant que les courtisans se jaugeaient avec froideur.

Chacun avait dû lambiner depuis plusieurs plombes, et n'étaient point prêts à céder leur place. Leurs cernes mauves et leurs paupières ombrées ballantes témoignaient de leur interminable attentisme.

Je m'approchai -avec la plus grande méfiance- des moelleux ottomanes, et m'affaissai sur le dernier fauteuil vacant. Tous, sans exception, s'étaient retournés, et me décortiquaient avec défiance, redoutant que je leur brandisse une glaive à leur gorge. Des chuintements indiscrets bourdonnaient dans la salle lugubre et silencieuse.

La colossal arcade de métal s'ouvrit dans un grincement d'engrenage tonitruant.

Un petiot bonhomme potelé apparu, un interminable parchemin dans ses mains gantées. Éreinté et exacerbé, il marmonna dans sa barbe quelques vieilles insultes, et claqua la porte du hall, comme pour illustrer sa contrariété.

Les statues tremblèrent, manquant de s'écrouler sur le dallage du sol. Les rideaux s'envolèrent faiblement, et les lucarnes clarifiées frissonnaient.

Les nobles, qui avaient contemplé le spectacle, essayèrent de cacher, derrière leurs gantelets de soie, les rictus amusés qui s'étaient dessinés sur leur visage. Quelques éclats de voix s'échappèrent malgré cela, carillonnant dans tous les recoins de la pièce.

Ce fut à ce moment que le greffier des procès, la coiffe de travers et les joues églantines, se manifesta. Il se racla longuement la gorge, rompant les rires des mondains.

- Monsieur Grégoire, prononça-t-il seulement.

Un homme, tapissé de tâches brunes, s'approcha, la tête haute.

Détaillant chaque mine ensommeillée, je su que j'en aurai pour plusieurs heures avant de pouvoir m'entretenir avec l'intendant. Or, je n'avais aucune envie d'attendre une éternité. Après tout, je venais de la part du seigneur. Par conséquence, ma requête passait bien avant de toutes celles qui se présentaient en ce lieu.

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊जहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें